HISTOIRE
Le Royaume Baoulé et ses Évolutions

Le Royaume Baoulé, ou Baouléman, se distingue par une organisation politique et sociale unique, ainsi que par une économie et des relations externes qui ont évolué au fil des siècles.
Fondation et Organisation Politique Précoloniale
Le Baouléman fut établi au XVIIIe siècle par Nanan Abla Pokou, suite à son exode, et Sakassou devint sa capitale. L’organisation politique Baoulé est remarquablement matriarcale, où les droits des femmes sont considérés comme sacrés. Les villages sont dirigés par un chef, ou par une reine ou un roi dans les communautés plus grandes, assistés de notables et de conseillers. Les souverains s’expriment souvent par l’intermédiaire d’un porte-parole. Les décisions importantes étaient prises lors d’assemblées générales publiques, auxquelles tous les individus concernés, y compris les esclaves, pouvaient participer, sans distinction de sexe ou d’âge.
Malgré la présence d’un « royaume », l’organisation politique Baoulé se caractérisait par un modèle fortement segmentaire, dépourvu d’une autorité politique centrale puissante. Cette nature segmentaire, couplée à la dispersion de la population due à la ruée vers les terres aurifères du sud, a entraîné des particularités locales, des divisions et des querelles pour l’attribution des chefferies. La société était souvent décrite comme égalitaire, chaque village étant indépendant et autonome sous la direction d’un conseil d’anciens. Cette coexistence d’une structure matriarcale avec des souverains et d’un modèle politique segmentaire décentralisé suggère un paysage politique plus complexe que ce qu’un simple « royaume » pourrait impliquer. Le pouvoir était distribué et potentiellement disputé entre divers sous-groupes et chefs locaux, indiquant que le « Royaume Baoulé » fonctionnait peut-être davantage comme une sphère d’identité culturelle partagée plutôt qu’un État unifié et centralisé au sens européen.
Structure Sociale et Vie Quotidienne
L’organisation sociale Baoulé s’articule autour de vastes groupes familiaux et de liens de parenté, dont la complexité est notable. Bien que souvent perçue comme purement matrilinéaire, la transmission de l’héritage pouvait varier, certaines chefferies importantes montrant une transmission patrilinéaire du « Dia » (héritage/biens). Les coutumes matrimoniales incluaient des fiançailles pré-pubertaires et deux types principaux de mariage (« noble » avec héritage patrilinéaire et « ordinaire » avec héritage matrilinéaire), reflétant une certaine stratification sociale.
Les femmes occupaient des positions significatives, pouvant devenir chefs de village et même reines. La société prônait l’inclusivité, chaque individu, y compris les esclaves, ayant voix au chapitre lors des discussions publiques, ou « palabres ». Une grande mobilité individuelle était observée, en particulier chez les jeunes et les femmes, qui pouvaient se déplacer entre différentes branches familiales ou vers des plantations extérieures et des zones urbaines. Cette flexibilité et cette adaptabilité de la structure sociale Baoulé, qui intégrait des modèles d’héritage variés et une forte mobilité, montrent une société pragmatique capable d’évoluer en fonction des réalités sociales et économiques, plutôt que de s’en tenir rigidement à un modèle traditionnel unique.
Les Baoulé sont également célèbres pour leur talent artistique, produisant des sculptures raffinées (comme les figures d’époux spirituels Blolo Bla et Blolo Bian, ou les statuettes de chasse Bo Usu) et une grande diversité de masques (tels que Goli Glin, Kple Kple, Bo Nu Amuin, Gbagba/Mblo). Nombre de ces objets d’art sont considérés comme de puissants objets spirituels. Leur vision religieuse du monde s’articule autour de trois réalités : Niamien (Dieu), le monde terrestre avec ses êtres surnaturels, et Blolo (l’au-delà, où résident les esprits des ancêtres). Des cérémonies importantes, comme la fête des ignames et des rites funéraires élaborés, sont au cœur de leur vie culturelle, avec la danse et la musique occupant une place centrale.
Économie et Relations Commerciales
L’économie traditionnelle Baoulé était principalement agraire, avec une culture significative d’ignames, de manioc, de café et de cacao. L’orpaillage était une activité majeure, héritée de leurs origines Asante, particulièrement dans la région aurifère du Yaouré. L’artisanat, incluant le tissage, le travail du bois, la ferronnerie et l’orfèvrerie, était également pratiqué, sans être structuré par un système de castes.
Le peuple Baoulé ne possédait pas traditionnellement de grand commerce de type mercantile ni de « places de marché » au sein de son territoire ; les échanges avec les groupes non-Baoulé se déroulaient à leurs frontières, formant une « couronne » de centres commerciaux. Le commerce à longue distance impliquait des marchands Mandé du nord (important du fer, des captifs, et exportant de l’or et de la cola) et des commerçants côtiers du sud (important du sel, des armes à feu, du fer européen, et exportant de l’or et des pagnes). Les échanges internes reposaient souvent sur des « expéditions » déterminées par les réseaux d’alliance et de parenté.
À partir des années 1830-1840, la présence européenne sur la côte s’intensifia, entraînant l’établissement de comptoirs commerciaux et l’instauration de droits de douane. Cela accrut l’importance du commerce côtier pour les Baoulé, notamment pour l’acquisition d’armes à feu et de poudre, et stimula l’extraction d’or comme moyen d’échange. L’économie Baoulé précoloniale, bien qu’ancrée dans l’agriculture locale et l’or, était profondément intégrée dans des réseaux commerciaux régionaux plus vastes. L’évolution vers une influence croissante du commerce côtier européen, en particulier pour les armes à feu et les cultures de rente, met en évidence une adaptation économique significative et une interdépendance, loin d’un modèle isolé. L’absence de marchés internes structurés indique une organisation économique distincte par rapport à d’autres royaumes voisins.
Les Baoulé entretenaient des relations complexes, mêlant conflits et alliances, avec des groupes voisins tels que les Agni, les Gouro et les Sénoufo. Ces interactions étaient souvent motivées par des intérêts économiques (contrôle des ressources, routes commerciales) et des ambitions politiques. Des guerres violentes éclatèrent, par exemple avec les Agni (vers 1770-1780), tandis que des alliances furent également nouées, notamment à l’initiative de Tyasalé. Les Baoulé soumirent d’ailleurs certains groupes Gouro et Sénoufo à leur arrivée, prenant possession de leurs terres.
Table 2: Organisation Socio-Politique et Économique du Royaume Baoulé Précolonial
| Aspect étudié | Description générale (structures, pratiques, traits sociaux observés) |
Nuances et Complexités (diversité des cas, tensions, spécificités locales) |
|---|---|---|
| Structure Politique | Organisation matriarcale, avec Reines et Rois, Conseil des Anciens, et Assemblées villageoises ouvertes. | Modèle segmentaire : pouvoir réparti entre chefferies locales, parfois sources de rivalités et de conflits d’attribution. |
| Structure Sociale | Groupes familiaux étendus, filiation mixte (matrilinéaire/patrilinéaire), forte mobilité, intégration d’esclaves. | Peuplement hétérogène : systèmes d’héritage variables selon les lignages, les statuts ou les zones géographiques. |
| Économie | Économie fondée sur l’agriculture (igname, manioc, café, cacao) et l’orpaillage. | Commerce sans grands marchés centraux ; échanges organisés via des expéditions, avec intégration aux circuits régionaux et maritimes. |
| Relations Externes | Conflits ou alliances avec les Agni, Gouro, Sénoufo ; relations commerciales avec Mandé et Européens. | Motivations politiques et économiques dans les relations ; rôle d’intermédiaire stratégique des Baoulé entre forêts et savanes. |




