DOSSIERS
Étude Approfondie sur le Mariage en Pays Baoulé de Côte d’Ivoire

1. Introduction : Contextualisation du Mariage Baoulé
1.1. Présentation du Peuple Baoulé et son Ancrage en Côte d’Ivoire
Le peuple Baoulé, composante majeure du groupe Akan, représente une ethnie significative au centre de la Côte d’Ivoire, comptant environ trois millions d’individus. Leurs valeurs culturelles sont profondément enracinées dans un ensemble de rituels, coutumes et pratiques ancestrales, qui se manifestent avec une cohérence remarquable à travers leurs divers sous-groupes. La mobilité historique des Baoulé a favorisé des échanges culturels intenses et des influences mutuelles avec des groupes voisins tels que les Gouro, les Malinké et les Wan, particulièrement perceptibles dans les régions septentrionales.
Les Baoulé sont reconnus pour leur fierté culturelle et leur conscience aiguë de former une entité distincte au sein des groupes ethniques environnants. Leur affirmation « Baoulé Kra Kra Bé Ti. Kun, Bé Ti Kum Ba » – signifiant « les Baoulé – tous sont Un – sont Un » – illustre un puissant sentiment d’unité, malgré l’existence de variations régionales dans leurs expressions artistiques et leurs pratiques. L’univers Baoulé est traditionnellement perçu comme structuré en trois réalités distinctes : le firmament (Annangaman Nyamien), domaine d’un Dieu intangible et inaccessible ; le monde terrestre, peuplé d’êtres vivants et de génies contrôlés par Assiè ; et l’au-delà (blôlô), le royaume des esprits ancestraux.
1.2. Importance du Mariage comme Institution Sociale et Culturelle
Le mariage, chez les Baoulé comme dans la plupart des sociétés africaines, est fondamentalement perçu comme une alliance entre deux familles, et non pas simplement entre deux individus. Il s’agit d’une affaire communautaire dont la portée dépasse les préférences personnelles pour servir l’intérêt commun des lignées. Cette institution est essentielle à la formation de familles légitimes, à l’établissement de liens de parenté et à la création de droits et d’obligations qui revêtent une nature à la fois privée et publique. Le processus matrimonial est souvent caractérisé par sa lenteur et par l’implication de longues discussions entre les familles, ce qui souligne sa profonde signification sociale.
1.3. Objectifs et Structure du Rapport
Ce rapport vise à offrir une analyse exhaustive du mariage traditionnel Baoulé. Il explorera ses formes historiques, ses pratiques contemporaines, ses fonctions socioculturelles, ses dimensions juridiques, ainsi que les défis auxquels il est confronté dans un contexte sociétal en rapide évolution.
2. Principes Fondamentaux et Types de Mariage Traditionnel Baoulé
2.1. Le Mariage comme Alliance entre Familles et le Rôle du Consentement Individuel
Le mariage Baoulé est avant tout une alliance entre familles, un acte communautaire visant à préserver l’intérêt commun des lignées. Cependant, le consentement des futurs époux demeure une condition indispensable à la consommation de l’union. Cette dualité, où l’intérêt collectif rencontre l’agence individuelle, est cruciale. Les familles interviennent non pas pour se substituer au consentement des fiancés, mais plutôt pour le soutenir, le corroborer et en garantir la stabilité.
Ce mécanisme social sophistiqué permet de concilier l’autonomie individuelle avec les intérêts du lignage, visant une stabilité matrimoniale et familiale à long terme. Le processus est généralement initié par l’homme, mais l’avis favorable de la femme est primordial, et le mariage forcé n’est traditionnellement pas accepté chez les Baoulé. Le refus de la fille, même après des fiançailles pré-pubertaires, peut entraîner l’abandon du prétendant, ce qui confirme que la volonté individuelle, en particulier celle de la femme, est prise en compte.
2.2. Le Mariage Atovlè (des Nobles) : Caractéristiques, Signification et Causes de sa Disparition
Le mariage Atovlè, historiquement, était une forme matrimoniale de grand prestige. Il se distinguait par d’importants transferts de poudre d’or et des festivités onéreuses, incluant la consommation de bétail et de vin de palme. En contrepartie de ces dons substantiels, la famille de l’épouse renonçait à tous ses droits sur cette dernière et sur sa descendance. L’
atovlè bla (femme) voyait ses libertés restreintes, ne retournant jamais dans sa famille d’origine pour des visites, et était inhumée dans le village de son mari à sa mort, tout comme ses enfants.
Un aspect fondamental de l’Atovlè était son pouvoir d’annuler la capacité de mise en gage des oncles utérins et, pour les neveux, la possibilité d’hériter de ces derniers. Cela garantissait à l’époux des droits exclusifs sur ses propres enfants et contribuait à créer un groupe social stable autour de lui, en accord avec l’idéal Baoulé de maintenir auprès de soi non seulement ses propres enfants, mais aussi ceux de ses sœurs.
La disparition de l’Atovlè est un phénomène complexe. Bien que certains aient attribué son interdiction à l’administration coloniale, des recherches indiquent qu’elle a précédé la conquête coloniale, coïncidant manifestement avec la guerre de Samori. Ce déclin s’explique par plusieurs facteurs : la restriction de la liberté de l’épouse et le mode d’héritage rigide ; l’augmentation du volume et la diffusion de la richesse, qui ont rendu le coûteux
Atovlè moins exclusif et l’ont dévalorisé ; et l’afflux massif de captifs et de réfugiés pendant la guerre de Samori, offrant une alternative moins onéreuse pour sécuriser la descendance, car le mariage avec des femmes captives servait un objectif similaire. La transformation de cette pratique matrimoniale illustre la nature dynamique de la culture Baoulé, capable d’adapter ou d’abandonner des institutions lorsque celles-ci ne répondent plus aux besoins sociétaux ou deviennent économiquement insoutenables. Le passage d’un mariage onéreux et rigide à une forme plus simple marque une démocratisation des pratiques matrimoniales.
2.3. Le Mariage Ordinaire : Principes Généraux et sa Prévalence Actuelle
Le mariage ordinaire est aujourd’hui la forme prédominante chez les Baoulé, concernant la majorité des membres de la structure sociale. Il est caractérisé par sa simplicité et requiert moins de prestations comparé au mariage
Atovlè. Dans cette forme d’union, la femme conserve des liens étroits avec sa famille d’origine, et le mode d’héritage est matrilinéaire, reflétant la société Baoulé qui est matrilinéaire mais patrilocale (l’épouse rejoint son mari tout en restant rattachée à son
Akpasua d’origine). La polygamie est admise et fréquemment pratiquée. Il est courant que ce type de mariage soit initié par une grossesse, qui confirme la fertilité et officialise l’union.
Table 1 : Comparaison des Types de Mariage Baoulé (Atovlè vs. Ordinaire)
| Caractéristique Clé | Mariage Atovlè (des Nobles) | Mariage Ordinaire (de l’Homme Baoulé) |
|---|---|---|
| Transferts de Richesse | Importants (poudre d’or, bétail, vin de palme) | Moins importants (liqueurs, pagnes, bijoux, argent symbolique, sel) |
| Festivités | Coûteuses et élaborées | Fête après le kôkô, plus simple |
| Liberté de l’Épouse | Restreinte, ne retourne jamais dans sa famille d’origine | Conserve ses attaches avec sa famille, plus de liberté (commerce, émancipation) |
| Droits sur la Descendance | Exclusifs pour le mari, annule les droits des oncles utérins | Partagés, héritage matrilinéaire |
| Lieu d’Inhumation | Épouse et enfants enterrés dans le village du mari | Non spécifié, mais la femme conserve ses attaches familiales |
| Objectif Principal | Créer un groupe social stable autour de l’époux, sécuriser la descendance | Union de deux familles, pérennisation de la tradition, soutien du couple |
| Contexte Historique | Disparition avant la conquête coloniale, coïncide avec la guerre de Samori | Prévalent actuellement |
| Causes de Disparition/Prévalence | Restriction liberté de la femme, mode d’héritage, diffusion richesse, afflux captifs | Offre plus de liberté à la femme, moins de prestations |
Cette comparaison structurée des types de mariage Baoulé met en évidence l’évolution des priorités sociétales, passant d’un modèle axé sur le contrôle et le prestige à une approche plus flexible et axée sur la liberté individuelle, tout en maintenant l’importance de l’alliance familiale.
3. Rites de Passage et Préparations au Mariage
3.1. Le Rite Atovlè (ou Nzilt) pour les Jeunes Filles : Étapes, Symbolisme et Implications Sociales
Le rite Atovlè, également appelé Nzilt (qui signifie « laver » ou « purifier »), est un rite de passage fondamental marquant la transition de l’enfance à la féminité. Il symbolise l’atteinte de la maturité et l’acquisition du droit de procréer.
Ce rite se déroule en plusieurs étapes clés :
- L’étape du baptême : Tôt le matin, une femme ménopausée âgée asperge d’eau le visage de l’adolescente endormie. Les pleurs systématiques de l’adolescente sont attendus, symbolisant le deuil de son enfance et, potentiellement, le souvenir des défunts.
- L’étape du lavage : Après les pleurs et les consolations, la jeune fille est entièrement lavée et séchée par l’aînée. Elle est parée de perles, d’un
Kodjo rouge (cache-sexe), de beurre de karité et d’or. Minutieusement maquillée, elle est ensuite présentée à la communauté, y compris aux prétendants potentiels.
- L’étape du jeu ou N’dolo : L’Atovlè fait son apparition publique aux côtés de ses pairs générationnels, suscitant l’admiration de la communauté.
- L’étape du repas et des présents : Des sacrifices sont offerts aux ancêtres pour obtenir leurs bénédictions. La jeune fille reçoit des cadeaux de ses parents et de sa famille, affichant ainsi la richesse familiale. Un repas festif clôture la cérémonie.
Sur le plan symbolique et social, ce rite régule les pratiques sexuelles : toute grossesse avant l’Atovlè était historiquement interdite et les enfants nés dans de telles circonstances pouvaient être éliminés pour prévenir le malheur. Le rite confère une « licence officielle » à la jeune fille pour pratiquer la sexualité selon les normes sociétales et signale sa préparation au mariage. Il constitue également une occasion pour les familles d’exposer leur capital culturel, économique et social à travers l’or, les pagnes traditionnels et les bijoux, reflétant ainsi la richesse et l’honneur de la famille. Le corps de la jeune fille, paré de vêtements, de maquillage et de bijoux, communique son statut et son appartenance à un groupe social. Cette présentation publique informe implicitement la communauté de sa transition, ouvrant la voie à la présentation de candidatures de prétendants.
Cependant, le rite peut être coercitif. Des adolescentes ont parfois été physiquement contraintes de pleurer ou ont fui pour échapper à l’exposition publique, ce qui a pu engendrer du stress et des souffrances psychologiques. Cette dualité, où le rite célèbre la féminité tout en exerçant un contrôle intense sur le corps et les choix de la jeune fille, met en lumière un paradoxe. Les pratiques traditionnelles, bien que culturellement significatives, peuvent imposer des fardeaux psychologiques considérables, surtout dans une société en modernisation où de tels éléments coercitifs sont remis en question.
3.2. Les Fiançailles Pré-pubertaires et leur Évolution
Historiquement, les fiançailles pré-pubertaires étaient une pratique courante chez les Baoulé, où les partenaires se désignaient mutuellement comme « mi wuÞ » (mon époux) et « mi yi » (mon épouse) avant même la consommation du mariage. Ces promesses de mariage revêtaient une grande importance, constituant un engagement majeur du prétendant, et les parents de la future fiancée en étaient les principaux bénéficiaires. L’objectif principal de cette pratique était de renforcer le lien maternel de l’alliance et d’assurer la stabilité du mariage, prévenant ainsi que les agnats ne rejoignent leurs parents maternels en cas de divorce.
L’évolution de cette pratique a été marquée par l’influence de la colonisation. La création de postes administratifs et de villes a offert aux jeunes femmes des opportunités de fuite, rendant plus difficile l’application de ces engagements à long terme. La disparition de ces fiançailles pré-pubertaires est une conséquence directe de l’accroissement de la mobilité individuelle et de l’accès à de nouveaux environnements sociaux, qui ont sapé l’autorité familiale traditionnelle sur les alliances matrimoniales. Ce phénomène reflète un affaiblissement des structures traditionnelles au profit de modes de cour plus immédiats et individualisés.
3.3. Préparations des Futurs Époux : Rituels de Beauté, Conseils des Aînés et Choix des Tenues
Les préparatifs du mariage impliquent des rituels distincts pour les futurs époux, qui renforcent les rôles de genre traditionnels et les attentes sociétales.
Pour la future mariée, les préparatifs incluent des rituels de beauté, tels que l’application de masques à base d’ingrédients naturels pour une peau éclatante et l’utilisation du henné pour orner les mains et les pieds, symbolisant la fertilité et la bonne fortune. Le choix de la robe de mariée est crucial ; elle est souvent confectionnée sur mesure, intégrant des éléments traditionnels et modernes, et le tissu, fréquemment un pagne traditionnel riche en couleurs et en significations, est choisi pour refléter sa personnalité et ses espoirs. Ce moment est également l’occasion pour les femmes âgées de la famille et les amies de partager leur sagesse et leurs conseils pour une vie conjugale harmonieuse, renforçant les liens et préparant la mariée à son nouveau rôle.
Pour le futur marié, bien que moins axées sur la beauté, les préparations sont tout aussi significatives. Les aînés dispensent des enseignements sur la vie de couple, la gestion du foyer et les responsabilités de l’époux, insistant sur la sagesse, le respect et l’engagement. Certains groupes ethniques organisent des épreuves symboliques pour tester sa force, son endurance et sa capacité à assumer son rôle de chef de famille, marquant ainsi son nouveau statut social. Le choix de sa tenue est également essentiel, reflétant son statut et sa personnalité, avec des costumes traditionnels privilégiés pour souligner son appartenance culturelle. Ces rituels ne sont pas de simples actes esthétiques ; ils sont des performances qui réaffirment les attentes sociétales et la division du travail au sein de l’union matrimoniale, assurant que chaque partenaire est socialisé dans ses fonctions prescrites.
4. La Cérémonie de Mariage Ordinaire : Étapes et Rituels Clés
4.1. Le Kôkô (Cérémonie des Fiançailles) : Déroulement et Dons Symboliques
Le Kôkô constitue la première étape officielle du mariage ordinaire, au cours de laquelle l’homme se présente formellement aux parents de sa bien-aimée. Ce rituel est marqué par des dons symboliques spécifiques, notamment quatre bouteilles de liqueur – deux de GIN « déh-déh » et deux de Rhum. Ces bouteilles sont réparties entre la famille maternelle de la fiancée, sa famille paternelle et la communauté des ressortissants du village (si la cérémonie a lieu en milieu urbain). La dernière bouteille est consommée sur place, servant de témoin tangible et collectif des fiançailles.
La distribution de ces dons à la communauté élargie, et non pas uniquement aux familles immédiates, signifie que les fiançailles sont une déclaration publique et une affaire communautaire, dépassant le cadre d’un simple accord privé. La consommation partagée de la dernière bouteille de liqueur agit comme une validation collective, solidifiant l’engagement aux yeux de tous. Ce rituel garantit que l’union bénéficie d’un large soutien social et d’une légitimité dès son initiation, ce qui rend plus difficile pour l’une ou l’autre partie de se retirer sans conséquences sociales.
4.2. La Dot : Composition, Signification et Rituels Associés (Identification de la Mariée)
La dot est considérée comme le « mariage proprement dit » et est accompagnée d’une célébration. Sa composition varie selon les époques et les régions, mais elle inclut généralement six bouteilles de liqueur, un grand drap pour la mère de la fiancée, un grand pagne pour son père, des ensembles de pagnes (wax, hollandais), des sandales, des foulards, des bijoux (dont la valeur dépend de l’affection de l’homme), une somme d’argent symbolique (entre 150 000 et 250 000 francs CFA), et un sac de sel (5 à 10 kg) à partager avec tout le village de la mariée.
Les dons sont hautement symboliques, visant à compenser le « vide » laissé par le départ de la fille et à signifier le caractère sacré de l’union. Bien que symbolique, la dot a une fonction économique ; la composante monétaire assure la capacité du futur époux à subvenir aux besoins de sa femme. Un homme peut choisir d’offrir le double ou le triple du montant demandé, par amour ou pour démontrer son opulence, valorisant ainsi sa femme et affichant son statut financier. En cas de divorce, aucun remboursement de la dot n’est possible.
Un rituel spécifique lors de la dot est l’identification de la mariée : le jour du mariage, plusieurs sœurs et/ou cousines de la fiancée, ainsi que la fiancée elle-même, sont vêtues de manière similaire, la tête couverte. L’époux doit alors identifier celle pour laquelle lui et ses parents ont fait le déplacement. Une fois identifiée, la fiancée met les bijoux et parures mis à sa disposition par ses parents, marquant ainsi la richesse prétendue de la famille de la mariée.
La dot est bien plus qu’un simple paiement ; elle représente un contrat socioculturel complexe. La clause de non-remboursement en cas de divorce suggère que la dot n’est pas une transaction de propriété, mais un transfert définitif de droits et un engagement envers un nouveau lien familial, rendant le divorce économiquement coûteux pour la famille du marié. Le rituel d’identification de la mariée est un acte performatif qui valide publiquement le choix du marié et ajoute une dimension de participation communautaire et de théâtralité à la cérémonie. L’exhibition de la « richesse prétendue » de la famille de la mariée à travers les bijoux souligne l’aspect compétitif de l’affichage du statut au sein de la communauté, transformant la dot en une affirmation publique du statut social et des alliances.
Table 2 : Éléments Clés et Symbolisme de la Dot Baoulé
| Élément/Don | Quantité/Valeur (si spécifié) | Signification Symbolique/Fonction | Récipiendaire/But |
|---|---|---|---|
| Bouteilles de liqueur | 4 (Kôkô), 6 (Dot) | Témoin des fiançailles, caractère sacré des unions | Famille maternelle, paternelle, communauté du village |
| Grand drap | 1 | Respect, honneur | Mère de la fiancée |
| Grand pagne | 1 | Respect, honneur | Père de la fiancée |
| Ensembles de pagnes (wax, hollandais) | Non spécifié | Représente le lien tissé entre les familles, richesse | Famille de la fiancée, pour la mariée |
| Sandales, foulards | Non spécifié | Accessoires de parure, marque de respect | Pour la mariée |
| Bijoux | Non spécifié, valeur selon l’amour | Fertilité, bonne fortune, richesse prétendue des parents | Pour la mariée |
| Somme d’argent symbolique | 150 000 – 250 000 F CFA | S’assurer que le gendre peut subvenir aux besoins de la fille, démonstration de puissance financière | Beaux-parents |
| Sac de sel | 5 ou 10 kg | Partage, convivialité, union du village | À partager avec tout le village de la mariée |
| Non-remboursement en cas de divorce | Applicable | Engagement définitif, transfert de droits | Famille du marié (perte) |
Cette table détaille les éléments constitutifs de la dot Baoulé, soulignant leur rôle multifonctionnel en tant que symboles culturels, indicateurs économiques et outils de renforcement des liens sociaux.
4.3. Le Rôle des Participants : Familles, Intermédiaires, Mariés
Le mariage Baoulé est une union qui rassemble deux familles entières, impliquant la présence des cousins, des oncles et des parents biologiques des deux côtés. Le protocole est rigoureux : la famille du marié s’adresse à celle de la mariée uniquement par l’intermédiaire d’un porte-parole, ce qui souligne le respect formel et l’importance des négociations. Les mariés, quant à eux, revêtent des tenues traditionnelles – pagnes Baoulé, pagnes Kita, colliers en or – pour affirmer leur appartenance culturelle et l’importance de l’événement. La cérémonie est un moment privilégié de retrouvailles, d’échanges et de convivialité, qui contribue à renforcer les liens sociaux entre les familles élargies.
5.1. Le Mariage comme Union de Deux Familles et Facteur de Cohésion Sociale
La conception du mariage en Afrique est indissociable de celle de la famille, le mariage étant perçu comme un pacte entre deux familles plutôt qu’un simple contrat entre deux individus. Cette alliance vise à préserver l’intérêt commun des familles et assure la stabilité du nouveau foyer. Il s’agit d’un « acte sacré, un ministère de vie et de l’avenir de la lignée », soulignant son rôle crucial dans la continuité générationnelle et le bien-être communautaire.
Cette insistance sur le mariage comme alliance entre familles et son rôle dans la préservation de l’intérêt commun révèle une différence fondamentale avec les conceptions occidentales individualistes du mariage. Cette impératif collectif signifie que le mariage est un acte social stratégique, conçu pour renforcer les réseaux de parenté, assurer la cohésion sociale et garantir l’avenir de la lignée. Le choix individuel, bien que respecté, est encadré par cette responsabilité communautaire plus large, ce qui indique que le bonheur personnel est souvent perçu comme intrinsèquement lié au bien-être et à la pérennité de la famille élargie.
5.2. Fonction Conservatoire de la Tradition et Pérennisation des Coutumes
La dot traditionnelle, par sa manifestation et ses dons symboliques, joue un rôle essentiel dans la perpétuation de la tradition et des coutumes Baoulé, particulièrement en milieu urbain. Elle agit comme un élément de résilience culturelle, garantissant la continuité de la culture Baoulé et de ses procédures matrimoniales traditionnelles. Le port de tenues traditionnelles par le couple lors des cérémonies renforce l’identité culturelle et le sentiment d’appartenance.
L’observation que le mariage Baoulé se maintient en milieu urbain et contribue à la « survivance culturelle » est significative. L’urbanisation est souvent associée à l’érosion des pratiques traditionnelles. Cependant, pour les Baoulé, la cérémonie de mariage, et en particulier la dot, agit comme un puissant mécanisme de transmission et de renforcement culturel. En adhérant à ces rituels, même dans un contexte urbain moderne, les familles préservent activement leur héritage, transmettent leurs valeurs et maintiennent un sentiment d’identité collective, démontrant la capacité d’adaptation des institutions culturelles à de nouveaux environnements.
5.3. Aspects Économiques de la Dot et Démonstration de Statut
Bien que principalement symbolique, la dot remplit une fonction économique. La composante monétaire, fixée entre 150 000 et 250 000 francs CFA, vise à s’assurer que le futur époux sera en mesure de subvenir aux besoins de sa future épouse. La possibilité pour le gendre d’offrir le double ou le triple du montant demandé, motivé par l’amour ou l’opulence, permet une démonstration de puissance financière et de statut social, valorisant ainsi la femme.
L’aspect économique de la dot ne se limite pas à un simple échange matériel. La capacité du marié à dépasser le montant requis transforme la dot en un acte performatif de valorisation de la mariée et de démonstration de son engagement et de sa capacité financière. Cela va au-delà de la simple compensation ; c’est une démonstration publique d’affection et un gage de soutien futur, renforçant le statut du marié et la valeur de la mariée au sein de la hiérarchie sociale. Cela exerce également une pression subtile sur le marié pour qu’il maintienne un certain niveau économique afin d’honorer son engagement.
5.4. La Place de la Femme dans le Système Matrimonial Baoulé (Matrilinéarité vs. Patrilocalité)
La société Baoulé est matrilinéaire, ce qui signifie que l’héritage est transmis par la lignée maternelle, mais la résidence est généralement patrilocale, l’épouse rejoignant le foyer de son mari. Cette combinaison crée une dynamique complexe où les femmes, bien que occupant théoriquement des positions charnières dans la structure sociale, sont souvent les éléments les plus mobiles et instables, se déplaçant entre les cours de leur mari, de leur père, de leur frère ou de leur oncle maternel.
Il est fréquent que de jeunes épouses continuent de vivre avec leur propre famille même après avoir eu des enfants et rempli les conditions du mariage, parfois par crainte de querelles avec une première épouse ou par la réticence d’un père à laisser partir sa fille unique. En cas de divorce, les enfants restent souvent avec la famille de leur mère qui les a élevés, soulignant la force des liens de parenté maternels. Le « mariage ordinaire » offre davantage de liberté aux femmes, leur permettant une émancipation financière et sociale par le commerce ou d’autres activités.
La coexistence de l’héritage matrilinéaire et de la résidence patrilocale engendre une tension inhérente à l’organisation sociale Baoulé : qui détient réellement la « propriété » des enfants et leur future allégeance? Cette situation conduit à une « masse d’éléments instables et flottants », en particulier les femmes et les enfants, qui sont constamment sollicités par plusieurs groupes de parenté. La « précarité des liens père-fils » signifie que le contrôle de la descendance est une négociation perpétuelle, souvent déterminée par les dynamiques de pouvoir et les circonstances plutôt que par des règles strictes. Le « jeu social pour un homme est de récupérer ses parents utérins sans risquer de perdre ses agnats ». Ce conflit structurel sous-jacent explique la fluidité de la résidence et l’importance stratégique de diverses formes de mariage (comme l’
Atovlè ou le mariage avec des captifs) qui visaient à neutraliser un terme de cette compétition, mais qui ont finalement échoué ou ont été abandonnées en raison de leurs propres limites ou de pressions externes. L’accroissement de la liberté pour les femmes dans le mariage ordinaire pourrait être une conséquence involontaire de cette négociation, leur accordant une plus grande autonomie pour naviguer ces exigences complexes de la parenté.
6. Cadre Juridique et Prohibitions Matrimoniales
6.1. Les Interdictions de Mariage Traditionnelles (Inceste, Exogamie, Sororat, Lévirat)
Le système matrimonial Baoulé est exclusivement fondé sur des règles prohibitives, sans formes de mariage prescrites ou préférentielles. Cette « définition négative » du système matrimonial Baoulé est une caractéristique notable. Elle implique une grande flexibilité et adaptabilité, où les alliances sont constamment « réinventées » plutôt que rigidement reproduites, contrastant avec d’autres sociétés Akan. Cette approche unique de la parenté et de l’alliance pourrait être une réponse à leurs schémas d’établissement historiques (essaimage de petits groupes ) et à la compétition continue pour la descendance, permettant des ajustements dynamiques plutôt que des structures fixes. Cela suggère une société qui privilégie l’évitement de certains écueils (comme l’inceste ou les alliances trop concentrées) plutôt que l’application de modèles matrimoniaux spécifiques, ce qui conduit à une organisation sociale plus fluide et pragmatique.
Les prohibitions incluent :
- Les sœurs réelles ou classificatoires.
- Les cousines parallèles matrilatérales (cousines utérines), strictement interdites.
- Les cousines parallèles patrilatérales (cousines agnatiques) et les cousines croisées (cousines cognatiques), interdites tant qu’un ancêtre commun est en vie.
- Les belles-sœurs (sœur de la propre femme, femme du frère, mari de la sœur).
- Les sœurs des « rivaux » (hommes ayant pris des épouses dans les mêmes familles que les frères ou soi-même).
La prohibition de la polygynie sororale (épouser deux sœurs) et du sororat (épouser la sœur cadette après le décès de l’aînée) est considérée comme « radicalement imprescriptible ». L’inceste (
plɔplɔ) s’applique spécifiquement aux relations sexuelles avec une sœur ou une cousine utérine, et avec la sœur de l’épouse. D’autres prohibitions sont considérées comme « incongrues » (ɔ ti). Le système Baoulé se distingue en prescrivant de ne pas doubler les alliances, visant à « réinventer l’équilibre du système matrimonial » à chaque génération, contrairement aux systèmes qui renouvellent les alliances à travers les générations.
6.2. L’Évolution du Statut Juridique de la Dot en Côte d’Ivoire
La pratique de la dot a été interdite en Côte d’Ivoire pendant 55 ans, du 7 octobre 1964 au 26 juin 2019, en vertu de la loi n° 64-381. Des sanctions, incluant l’emprisonnement et des amendes, étaient prévues. Malgré cette interdiction légale, les autorités ne l’ont pas toujours activement réprimée, et la dot est restée une pratique traditionnelle profondément enracinée.
La situation juridique a changé avec la loi n° 2019-570 du 26 juin 2019, qui a abrogé les articles interdisant la dot, rendant ainsi sa pratique légale en Côte d’Ivoire. Cependant, bien que légalisée, les modalités de cette pratique (montant, biens) restent « l’apanage des chefs de famille », et le législateur est « silencieux sur ces points », ce qui entraîne un manque de cadre juridique clair pour sa mise en œuvre.
Cette évolution, passant d’une interdiction de 55 ans à une récente légalisation, révèle un changement significatif dans l’approche de l’État ivoirien vis-à-vis du droit coutumier. L’interdiction initiale visait probablement à moderniser le droit de la famille et à limiter les abus potentiels, mais son application laxiste a montré l’ancrage culturel profond de la pratique. La légalisation actuelle reconnaît cette réalité, mais en restant « silencieux sur ces points » concernant les modalités, elle crée un vide juridique. Cette situation met en évidence une tension entre le droit étatique formel et les pratiques coutumières vivantes, où l’État légitime une tradition sans en intégrer ni en réguler pleinement les complexités. Cela pourrait entraîner des ambiguïtés persistantes, des risques d’exploitation (les chefs de famille conservant un contrôle total), et des défis pour obtenir réparation légale en cas de litiges liés à la dot, puisque l’union traditionnelle elle-même n’est pas encore un mariage légal au sens strict.
Table 3 : Chronologie Légale de la Dot en Côte d’Ivoire
| Date/Période | Loi/Décret | Statut Légal de la Dot | Définition/Conditions | Sanctions (si applicable) | Implications Clés |
|---|---|---|---|---|---|
| 7 Oct. 1964 – 26 Juin 2019 | Loi n° 64-381 du 7 Oct. 1964 | Interdite | Versement d’avantages matériels par le futur époux à la personne ayant autorité sur la future épouse, conditionnant le mariage traditionnel | Emprisonnement (6 mois à 2 ans), amende double de la valeur des promesses/biens (min. 50 000 F CFA), même peine pour intermédiaires | Non activement réprimée par les autorités malgré l’interdiction |
| 26 Juin 2019 – Présent | Loi n° 2019-570 du 26 Juin 2019 | Légalise la pratique | Abrogation des articles 20, 21, 22 de la loi de 1964 | Aucune sanction légale | Modalités (montant, biens) laissées à la prérogative des chefs de famille ; législateur silencieux sur ces points, manque de cadre juridique clair |
Cette table retrace l’évolution du statut juridique de la dot en Côte d’Ivoire, mettant en lumière le dialogue complexe entre les normes coutumières et la législation étatique.
6.3. Interaction entre le Droit Civil, les Coutumes et les Influences Religieuses (Christianisme, Islam)
Le cadre juridique du mariage Baoulé est une superposition complexe de droit civil, de coutumes traditionnelles et d’influences religieuses.
Le droit civil ivoirien (Loi n° 2019-570) définit les obligations des époux : communauté de vie, respect mutuel, fidélité, secours et assistance. Les époux sont conjointement responsables de la nourriture, de l’entretien et de l’éducation des enfants. Bien que le mari soit traditionnellement le chef de famille, la femme contribue à la direction morale et matérielle du foyer. Les époux contribuent aux charges du mariage proportionnellement à leurs facultés.
Le mariage religieux n’est en principe pas régi par la loi ivoirienne, bien que le Code pénal puisse sanctionner certains « manquements » liés à celui-ci. Les influences de l’
Islam et du Christianisme ont introduit des concepts tels que les nullités de mariage (non reconnues par la « proto-coutume ») et les interdictions de divorce dans les ethnies évangélisées, bien que ces dernières soient souvent contournées par des séparations de corps.
Les mariages interreligieux peuvent susciter des critiques au sein des familles, notamment du côté musulman si le futur époux est chrétien, car un tel mariage est formellement interdit pour une femme musulmane. La compréhension chrétienne du couple met l’accent sur la réciprocité, l’égalité de rang et le soutien inconditionnel. Les discussions préparatoires au mariage sont jugées cruciales pour le respect des convictions religieuses divergentes.
La coexistence de ces différents systèmes juridiques et normatifs crée un paysage de pluralisme juridique. Le fait que le mariage religieux ne soit pas gouverné par la loi ivoirienne mais sanctionné par le Code pénal met en évidence une fragmentation juridique. Cette fragmentation peut engendrer des conflits, notamment lorsque les pratiques traditionnelles ou les doctrines religieuses entrent en contradiction avec les principes du droit civil (par exemple, le rôle du mari comme chef de famille face aux principes modernes d’égalité, ou le concept de nullité). Les défis posés par les mariages interreligieux illustrent davantage comment les croyances personnelles profondes interagissent avec les normes légales et sociales plus larges, nécessitant une négociation et une adaptation constantes de la part des individus et des familles.
7. Défis Contemporains et Évolution du Mariage Baoulé
7.1. Impact de l’Urbanisation et des Mariages Interethniques
Malgré l’influence de la modernité, le mariage Baoulé perdure en milieu urbain, contribuant à la survie culturelle du peuple. La proximité avec d’autres groupes ethniques dans les zones urbaines, notamment à Abidjan, favorise les alliances matrimoniales interethniques.
Il est observé que les femmes Baoulé sont généralement plus ouvertes aux unions avec des étrangers en milieu urbain, tandis que les hommes Baoulé manifestent souvent une répulsion envers les mariages interethniques dans le contexte actuel, bien qu’il y ait eu des exceptions historiques. Cette divergence d’attitudes entre hommes et femmes Baoulé suggère une adaptation différenciée à l’urbanisation et à la modernité selon le genre. L’ouverture des femmes pourrait être liée aux libertés et opportunités accrues offertes par le mariage ordinaire et l’environnement urbain, leur permettant potentiellement d’échapper à certaines contraintes traditionnelles ou de rechercher des partenaires en dehors des dynamiques complexes de parenté de leur propre groupe. La « répulsion » des hommes pourrait refléter un désir de préserver la pureté culturelle, de maintenir l’autorité traditionnelle (notamment sur la descendance), ou une résistance à la perte de contrôle perçue en épousant en dehors de leurs réseaux sociaux établis. Cela met en lumière la manière dont la modernisation affecte différemment les segments de la société, conduisant à des stratégies divergentes pour naviguer le changement culturel.
7.2. Influence de la Scolarisation et des Religions Révélées sur les Pratiques Traditionnelles
L’avènement de la scolarisation des jeunes filles et l’influence croissante des religions révélées (Christianisme, Islam) ont transformé la pratique du rite Atovlè, qui est désormais souvent observé volontairement ou symboliquement, plutôt que sous contrainte. Cette évolution a entraîné une « mutation culturelle » et une « marginalisation progressive des valeurs traditionnelles », conduisant à une « perte d’identité culturelle » ou à une « acculturation » chez les jeunes générations.
Le relâchement du contrôle social traditionnellement exercé par des rites comme l’Atovlè a contribué à l’émergence de déviances comportementales, notamment l’activité sexuelle précoce et les grossesses non désirées chez les adolescentes, car les jeunes se sentent désormais plus libres d’exprimer leur sexualité sans crainte de réprimande. Le déclin des rites coercitifs traditionnels est une conséquence directe des pressions externes sur les mécanismes de contrôle social. Bien que cela puisse être perçu comme un progrès en termes de liberté individuelle, cela a également des conséquences imprévues. L’affaiblissement des structures sociales traditionnelles, sans mécanismes de remplacement adéquats, peut créer de nouveaux défis sociétaux. Cela suggère que les rites traditionnels, malgré leurs aspects coercitifs, remplissaient des fonctions vitales de régulation du comportement social, et leur érosion crée un vide que les institutions modernes ne sont pas encore pleinement équipées pour combler efficacement, entraînant une « perte d’identité culturelle » et un déplacement du contrôle de la société vers l’individu.
L' »Auro » (groupement familial/cour) est caractérisée par une faible cohésion, influencée par les migrations permanentes vers les plantations ou les zones urbaines, et par la présence d’une masse d' »éléments instables et flottants » (jeunes, enfants, femmes). L' »élasticité sémantique » de termes comme « Auro » et « Akpasoua » reflète des processus de segmentation sociale rapides et l’ambiguïté des définitions de la parenté. La compétition constante entre les lignées paternelles et maternelles pour le contrôle de la descendance est une source majeure d’instabilité.
La description de l' »Auro » comme une unité « faiblement cohésive » et « instable » , combinée à l' »élasticité sémantique » des termes de parenté , indique une profonde déterritorialisation et déstructuration de la parenté traditionnelle Baoulé. La migration et la mobilité individuelle signifient que les unités résidentielles ne correspondent plus parfaitement aux unités sociales. La « compétition » constante pour la descendance entre les lignées paternelles et maternelles fragmente davantage les structures familiales, les rendant moins prévisibles et plus fluides. Cela suggère que les Baoulé naviguent dans un paysage social complexe où les principes de parenté traditionnels sont remis en question par les réalités modernes, conduisant à une négociation pragmatique, souvent individuelle, des liens familiaux plutôt qu’à une adhésion stricte à des normes rigides. L' »indétermination » des individus met en évidence un état de flux où les ancrages sociaux traditionnels se relâchent.
7.4. La Persistance des Valeurs Culturelles face à la Modernité
Malgré des changements significatifs, les valeurs culturelles fondamentales des Baoulé persistent et constituent la base de leur organisation sociale. Le
pagne baoulé, par exemple, est bien plus qu’un simple tissu ; il incarne un savoir-faire vivant, un langage familial et collectif, et un héritage précieux, porté avec fierté lors des mariages traditionnels et d’autres cérémonies. Il symbolise la mémoire, l’identité et les principes fondateurs, agissant comme un « acte de résistance joyeux » face à l’érosion culturelle. L’importance des aînés, de la communauté et des repas partagés lors des cérémonies renforce les liens sociaux.
La persistance des valeurs culturelles, illustrée par le pagne baoulé, au milieu de profonds changements sociétaux, témoigne d’un processus d’adaptation sélective plutôt que d’un abandon total. Le pagne n’est pas seulement un vêtement ; c’est un « langage » et un « acte de résistance joyeux ». Cela indique que si certaines pratiques traditionnelles (comme la coercition de l’
Atovlè ou les fiançailles pré-pubertaires) ont disparu sous l’effet de pressions externes ou d’une évolution interne, d’autres, en particulier celles qui incarnent l’identité et la communauté (comme la dot, les tenues traditionnelles et les rassemblements communautaires), sont activement maintenues et revalorisées. Cela suggère un effort conscient des Baoulé pour préserver leur essence culturelle par des moyens symboliques, assurant ainsi une continuité même si les formes pratiques de l’organisation sociale évoluent.
8. Conclusion : Permanence et Adaptation d’une Institution
Le mariage en pays Baoulé est une institution dynamique, profondément enracinée dans une alliance familiale communautaire, mais qui intègre de plus en plus le consentement individuel. Il a évolué, passant de formes prestigieuses et restrictives comme l’Atovlè à un « mariage ordinaire » plus flexible, sous l’impulsion de transformations socio-économiques et d’influences externes. Des rites clés, tels que le Kôkô et la dot, demeurent centraux, remplissant des fonctions symboliques, économiques et sociales multiples, agissant comme un rempart contre l’érosion culturelle, particulièrement en milieu urbain.
L’interaction complexe entre l’héritage matrilinéaire et la résidence patrilocale engendre une négociation constante autour de la descendance, contribuant à la fluidité des structures familiales. Le paysage juridique, marqué par la récente légalisation de la dot, reflète une interaction complexe entre le droit coutumier, le droit civil et les lois religieuses, présentant à la fois une reconnaissance et des défis persistants.
L’avenir de cette institution sera probablement marqué par une adaptation continue, cherchant à équilibrer la préservation des valeurs culturelles fondamentales avec les exigences de la modernité, de l’urbanisation et de l’évolution des libertés individuelles. Le défi réside dans l’intégration des pratiques traditionnelles au sein des cadres juridiques et sociaux contemporains, tout en abordant les conséquences potentielles de l’affaiblissement des contrôles sociaux. La résilience démontrée par la persistance de rituels clés et de symboles culturels suggère une pertinence continue, bien que transformée, du mariage en tant que pierre angulaire de l’identité et de la cohésion sociale Baoulé.




