HISTOIRE
Le peuple Agba en Côte d’Ivoire : histoire, culture et dynamiques socio-économiques dans les départements de Dimbokro, Bocanda, Daoukro et Kouassi-Kouassikro

Résumé analytique
Le présent rapport offre une étude approfondie du peuple Agba, un sous-groupe majeur des Baoulé, qui eux-mêmes constituent la plus grande ethnie de Côte d’Ivoire. L’analyse se concentre spécifiquement sur leur présence dans les départements de Dimbokro, Bocanda, Daoukro et dans la sous-préfecture de Kouassi-Kouassikro, des régions qui marquent leur territoire historique. Le rapport retrace les origines du peuple Agba, de leur migration du royaume Ashanti avec la reine Ablah Pokou à leur installation sur la rive droite du fleuve N’Zi. Il explore leur structure sociale complexe, fondée sur un système matrilinéaire et une organisation tribale qui a évolué de quatre à douze clans.
L’étude met en lumière la résistance farouche des Agba face à la pénétration coloniale française, une opposition qui les a distingués comme le groupe le plus hostile parmi les Baoulé et a entraîné de violentes campagnes de répression. L’analyse révèle également comment les colonisateurs ont exploité les rivalités internes, notamment avec les N’Zikpri, pour affaiblir la résistance locale. En outre, le rapport détaille les aspects fondamentaux de leur culture, depuis les rites de passage comme le rituel Atovlê jusqu’à leur production artistique singulière, reconnue pour sa « douceur » et sa « sérénité ». Il aborde enfin les transformations économiques, passant d’une économie traditionnelle basée sur l’agriculture et le commerce de l’or à un système moderne de subsistance, tout en soulignant le rôle continu de la chasse et de l’émigration.
En conclusion, ce rapport démontre que les Agba, tout en partageant un héritage commun avec le grand groupe Akan, ont su préserver une identité unique et résiliente, marquée par une tradition de défi et une capacité d’adaptation aux pressions historiques et contemporaines.
1. Introduction : Le peuple Agba en contexte
1.1. Classification ethno-linguistique au sein du groupe Akan
Le peuple Agba s’inscrit au cœur du riche maillage culturel de la Côte d’Ivoire. Sur le plan ethno-linguistique, les Agba sont un sous-groupe du peuple Baoulé, qui représente l’une des plus grandes ethnies du pays. Les Baoulé, à leur tour, font partie de l’important groupe Akan, une entité qui, en 2021, constituait de la population ivoirienne. Cette classification est essentielle, car elle place les Agba dans un cadre culturel et historique partagé avec des groupes tels que les Akouè, les Satiklan, les Ahaly et les Faafoué, qui se sont également établis dans le centre de la Côte d’Ivoire. L’influence des Akan est d’autant plus prépondérante qu’ils occupent une position majoritaire dans pas moins de 16 entités administratives, dont la région du N’Zi. La densité et la répartition du groupe Akan à travers le pays sont en grande partie influencées par le poids démographique des Baoulé, qui constituent non seulement l’ethnie majoritaire au sein des Akan, mais aussi à l’échelle nationale. Cette prépondérance s’explique en partie par la recherche de terres fertiles pour la culture du café et du cacao, qui a conduit les Baoulé à s’établir dans les régions forestières de l’ouest et du sud-ouest du pays, modifiant la toponymie locale au passage.
1.2. Portée géographique et administrative de l’étude
Le présent rapport se concentre sur les aires géographiques spécifiques où le peuple Agba est traditionnellement établi, en accord avec la requête initiale. Les Agba se sont principalement installés sur la rive droite du fleuve N’Zi, un corridor géographique qui les situe entre les villes de Dimbokro et Bocanda. Leur présence s’étend également au-delà de ce cœur historique pour inclure les départements de Daoukro et la sous-préfecture de Kouassi-Kouassikro.
Pour contextualiser la présence des Agba, il est pertinent d’examiner les données démographiques des zones concernées. La ville de Dimbokro, qui est à la fois la capitale du district des lacs et le chef-lieu de la région du N’Zi, comptait une population estimée à 70 198 habitants en 2021. Le département de Kouassi-Kouassikro, quant à lui, avait une population de 23 117 habitants en 2014, avec une densité de 48 habitants par kilomètre carré. La région du N’Zi dans son ensemble est une entité significative, avec une population estimée à 254 623 habitants en 2021. Il est important de noter que les données peuvent varier selon les sources et les années de recensement. Par exemple, une autre source fournit une population de 378 560 habitants pour la région du N’Zi, ce qui illustre la complexité de l’évaluation démographique et la nécessité d’une approche prudente lors de l’analyse des chiffres. Ces données permettent de prendre la mesure de l’espace et de la population au sein desquels la culture Agba s’est développée et a perduré.
| Caractéristique | Communauté Sah de N’Djébonouan | Communauté Sah de Toumodi |
|---|---|---|
| Cadre de vie | Sous-préfecture rurale. | Centre semi-urbain et carrefour commercial. |
| Modèle d’implantation | Établissement tribal avec des structures traditionnelles. | Communauté résidant dans une ville cosmopolite, s’intégrant dans des quartiers ethniques. |
| Organisation sociale | Structurée en trois tribus : N’djé, Mougnan, Gbadahou. | Intégrée dans une ville historiquement façonnée par la migration et le commerce. |
| Moteur économique historique | Agriculture traditionnelle et orpaillage initial. | Principalement la quête d’or qui a déterminé l’implantation, suivie par l’intégration dans l’économie urbaine. |
| Défis principaux | Maintien de la tradition et de la hiérarchie face à la modernité. | Adaptation à l’urbanisation, aux réalités cosmopolites, et aux conflits fonciers. |
Tableau 1 : Données démographiques clés dans les régions Agba (2014–2021)
| Entité administrative | Population estimée (année) | Densité (année) |
|---|---|---|
| Région du N’Zi | 254 623 habitants 2021 | 13 hab./km² |
| Dimbokro (ville) | 70 198 habitants 2021 | N/A |
| Kouassi‑Kouassikro (département) | 23 117 habitants 2014 | 48 hab./km² |
2. Un peuple forgé par l’histoire : origines et établissement
2.1. La migration Ashanti et l’héritage de la reine Ablah Pokou
L’histoire du peuple Agba est indissociable de celle du grand groupe Baoulé, dont l’origine est enracinée dans la migration du royaume Ashanti, situé dans l’actuel Ghana. Au XVIIIe siècle, une guerre de succession opposa le peuple Ashanti, ce qui poussa une partie de la population, menée par la reine Ablah Pokou, à fuir vers l’ouest pour chercher refuge. Les Agba font partie de ce mouvement migratoire épique et tirent leur nom d’Agba Kpli, l’ancêtre fondateur qui serait arrivé en Côte d’Ivoire aux côtés de la reine Ablah Pokou. L’arrivée des Baoulé dans la région de Dimbokro, par exemple, est retracée à cette migration, leur installation se faisant après l’expulsion des populations gouros. Cette histoire partagée est un élément central de l’identité des Agba, qui se considèrent comme un des peuples qui ont suivi Ablah Pokou pour s’établir entre les fleuves Bandama et Comoé.
2.2. La structure tribale Agba : des quatre fils aux douze clans
La structure sociale et politique du peuple Agba trouve ses fondements dans sa généalogie fondatrice. À l’origine, les Agba étaient composés de quatre tribus, chacune étant issue de l’un des quatre fils de leur ancêtre, Agba Kpli. Ces tribus originelles sont les Assabou, fondées par Agba Kolia ; les Ahali, fondées par Agba Alloko ; les Monga, fondées par Agba Assielou ; et les Alanguira, fondées par Agba Saha. Cette structure initiale, basée sur les liens du sang et la filiation paternelle dans le mythe fondateur, a servi de base à leur organisation.
Un développement notable dans l’histoire des Agba est l’évolution de leur structure tribale. Alors qu’ils partaient de quatre tribus fondatrices, l’analyse montre qu’il existe aujourd’hui un total de douze tribus Agba réparties dans les zones de Bocanda, Dimbokro, Daoukro, Ouéllé et dans la sous-préfecture de Kouassi-Kouassikro. Cet accroissement du nombre de tribus témoigne d’une trajectoire historique dynamique. Il n’est pas simplement un fait démographique, mais révèle des processus de croissance démographique, de segmentation des clans originels ou d’assimilation d’autres groupes au fil des siècles. Ce phénomène d’expansion et d’adaptation souligne la résilience et la vitalité d’une organisation sociale capable de se transformer tout en préservant son héritage fondateur.
Tableau 1 : Données démographiques clés dans les régions Agba (2014-2021)
| Entité Administrative | Population Estimée (Année) | Densité (Année) |
|---|---|---|
| Région du N’Zi | 254 623 habitants (2021) | 13 hab./km² |
| Dimbokro (ville) | 70 198 habitants (2021) | N/A |
| Kouassi-Kouassikro (département) | 23 117 habitants (2014) | 48 hab./km² |
Tableau 1 : Données démographiques clés dans les régions Agba (2014–2021)
| Entité administrative | Population estimée (année) | Densité (année) |
|---|---|---|
| Région du N’Zi | 254 623 habitants 2021 | 13 hab./km² |
| Dimbokro (ville) | 70 198 habitants 2021 | N/A |
| Kouassi‑Kouassikro (département) | 23 117 habitants 2014 | 48 hab./km² |
Tableau 2 : Structure tribale Agba
| Tribus originelles | Fondateur | Tribus actuelles (nombre) |
|---|---|---|
| Assabou |
Agba Kolia
|
12 tribus
Bocanda Dimbokro Daoukro Ouéllé Kouassi‑Kouassikro |
| Ahali |
Agba Alloko
|
N/A |
| Monga |
Agba Assielou
|
N/A |
| Alanguira |
Agba Saha
|
N/A |
3. L’esprit de défi : résistance à la colonisation
3.1. Confrontations avec la « Colonne de Kong » et les premières archives coloniales
Le peuple Agba est entré dans les annales coloniales françaises comme une population particulièrement rebelle. Les premières références aux Agba remontent aux opérations de la « colonne de Kong » entre 1894 et 1895, où ils furent décrits comme un peuple prêt à résister à la colonisation. Des documents de cette époque rapportent qu’un chef Agba, Bobolé, a envoyé des guerriers pour soutenir d’autres peuples insurgés, ce qui a conduit les administrateurs coloniaux à qualifier les Agba de « peuplade turbulente et pillarde ».
Parmi les Baoulé, les Agba Satiahiri, un sous-groupe des Agba, étaient considérés comme les plus hostiles. Leur opposition ne se limitait pas aux forces françaises ; elle s’étendait également à d’autres groupes Baoulé perçus comme soumis, tels que les N’Zikpri, les Aïtou et les Faafoué. Cette agressivité directionnelle a mis en évidence des fractures existantes au sein de la société Baoulé.
3.2. Une guerre d’usure : les campagnes de répression de 1902, 1905 et 1910
La résistance Agba n’était pas un phénomène isolé mais un conflit prolongé. Elle a été confrontée à une répression militaire féroce à trois reprises, en 1902, 1905, et finalement en 1910. La répression de 1902 fut marquée par des « atrocités » de la part des troupes coloniales. L’affrontement final en 1910, connu sous le nom de « la colonne des Agba », coïncida de manière stratégique avec l’achèvement de la ligne de chemin de fer jusqu’à la gare de Dimbokro. Ce chemin de fer, enjeu majeur de la colonisation, soulignait la détermination de l’administration à briser la résistance Agba et à sécuriser la région pour l’exploitation économique. La tactique Agba consistait souvent à évacuer les villages pour échapper à la destruction. Cependant, à mesure que le conflit s’intensifiait, ils ont été contraints de s’adapter, fortifiant leurs villages avec des palissades et des tranchées, ce qui a conduit à des batailles décisives où ils ont tenté une défense à outrance, plutôt que de se disperser dans la forêt.
3.3. Fissures internes : l’exploitation des rivalités avec les N’Zikpri
Les archives coloniales révèlent un aspect crucial de la conquête française : la manipulation des rivalités inter-ethniques. L’inimitié préexistante entre les Agba et leurs voisins, les N’Zikpri, a joué un rôle déterminant dans la soumission de la région. Contrairement aux Agba qui ont farouchement résisté, les N’Zikpri ont accueilli les postes coloniaux et ont offert leur « concours » pour une action chez les Agbas.
Cette division a été systématiquement exploitée par les Français, qui ont eu recours à des guides et à des « partisans » N’Zikpri pour mener leurs opérations militaires contre les Agba insoumis. En utilisant ces milices interposées, les colonisateurs ont transformé l’agression en une forme de guerre civile, où les deux peuples Baoulé se sont mutuellement combattus. Le rapport du capitaine Marchand, par exemple, confirme que les N’Zikpri sont devenus des alliés fiables et ouvertement hostiles aux Agba, un facteur qui a permis aux troupes françaises de mener des opérations avec un soutien local. Ce phénomène de « guerre des partisans » illustre comment les divisions pré-coloniales ont été instrumentalisées pour faciliter une conquête qui aurait pu être beaucoup plus difficile face à un front uni.
4.1. Le système matrilinéaire : filiation, héritage et cohésion sociale
Le socle de l’organisation sociale des Agba est le système matrilinéaire, une caractéristique partagée par le groupe Akan. Au sein de la société Agba-Baoulé, la filiation et l’héritage se transmettent par la lignée maternelle. La structure familiale repose sur deux piliers essentiels : l’
Awlo, qui représente la famille élargie regroupant les parents proches, et l’Akpassoua, le lignage, une unité de parenté plus vaste. Dans cette organisation, la femme occupe une place centrale, étant considérée comme la « matrice » de la société et l’élément de stabilité du foyer.
Alors que la matrilinéarité est la norme chez les Akan, certains sous-groupes Baoulé, comme les Kodè de la région de Béoumi, ont adopté un système patrilinéaire. Cette divergence est le résultat de brassages socio-culturels avec des groupes non-Akan tels que les Gouro et les Ouan, ainsi que de circonstances historiques particulières liées aux conquêtes militaires. Contrairement à ces groupes, le peuple Agba semble avoir conservé de manière plus marquée le modèle matrilinéaire traditionnel. La filiation se fait du côté maternel, et la femme conserve ses liens avec sa famille d’origine même après le mariage, ce qui est une caractéristique du mariage dit de l’Homme ordinaire, qui est basé sur l’exogamie. Cette adhésion à la matrilinéarité témoigne d’une préservation de leur héritage culturel face aux influences extérieures, contrastant avec l’évolution de certains de leurs voisins.
L’organisation politique traditionnelle des Agba est décentralisée et consensuelle, axée sur la communauté villageoise. Chaque village fonctionne de manière indépendante, sous la direction d’un chef de clan et d’un conseil des anciens. Le chef de clan, qui gère un certain nombre de villages, est le représentant du chef de tribu dans sa localité. Il est également le gardien des règles coutumières et assure l’autorité foncière, rendant compte de sa gestion à son supérieur.
Le pouvoir du chef de village n’est pas coercitif mais repose sur son prestige et sa capacité à maintenir la cohésion des groupes familiaux. Les décisions sont prises collectivement au sein du conseil des anciens, une assemblée d’individus respectés et influents, ce qui fait de cette société une structure égalitaire où même les esclaves d’autrefois participaient aux discussions. Ce système de gouvernance, basé sur la consultation et le consentement, reflète une conception de l’autorité qui est plus celle d’un arbitre et d’un médiateur que d’un chef tout-puissant.
Malgré l’intégration de la Côte d’Ivoire dans un système étatique moderne, la chefferie traditionnelle conserve un rôle pertinent et adaptatif. Les chefs traditionnels, reconnus par l’administration, servent de lien essentiel entre le gouvernement et les populations villageoises. Ils continuent de rendre la justice traditionnelle, notamment dans les affaires foncières et civiles, un domaine où leur autorité reste largement acceptée.
Dans le département de Bocanda, des chefs se sont engagés à promouvoir les droits des femmes à la propriété foncière, une initiative qui montre leur capacité à s’adapter aux questions contemporaines et à servir de catalyseurs de changement social. De même, leur influence s’étend à la sphère politique nationale, comme en témoigne le soutien apporté par la chefferie de Bocanda à l’ancien président Henri Konan Bédié, avec l’espoir de le voir revenir au pouvoir. Ces exemples démontrent que la chefferie ne relève pas seulement du folklore, mais qu’elle continue de jouer un rôle dynamique dans la gouvernance locale et nationale, agissant comme un point de jonction entre la tradition et la modernité.
5. Héritage culturel et spirituel
5.1. Le rituel Atovlê : un rite de passage vers la féminité
Le rituel Atovlê est une pratique culturelle et sociale d’une importance capitale chez les Baoulé-Agba, marquant le passage de la jeune fille à l’âge adulte et sa première menstruation (menza). L’ensemble du rite est une véritable épreuve, structurée en quatre étapes essentielles qui symbolisent cette transformation.
- Le baptême (
L'étape du baptême) : Très tôt le matin d’un samedi, une doyenne d’âge ménopausée pénètre dans la chambre de l’adolescente et lui éclabousse le visage avec de l’eau. La jeune fille doit réagir en pleurant systématiquement, signe de son immersion dans la culture. Le refus de pleurer est un manquement grave et peut entraîner des sanctions physiques. Pour une orpheline, cette étape est également l’occasion pour la famille de renouveler le deuil de ses parents décédés en pleurant avec elle. - Le lavage (
L'étape du lavage) : Après le baptême, la jeune fille est conduite par une aînée sociale pour être lavée et séchée. C’est à ce moment qu’elle est parée de perles autour de la taille et d’unKodjorouge, un pagne traditionnel dont la couleur symbolise la vie, la joie et le sang menstruel. - Le jeu (
Le jeuouN'dolo) : La jeune fille, désormais appeléeAtovlê, fait sa première apparition publique en rejoignant ses pairs sur la place du village. Elle participe auN'dolo, un jeu pratiqué par les femmes lors d’événements importants. Cette étape est un moment de célébration où la communauté tout entière vient admirer la beauté de la « nouvelle femme ». - Le repas et les présents (
L'étape du repas et des présents) : Après les pleurs du baptême, des poulets sont sacrifiés aux ancêtres pour obtenir leur bénédiction. Les parents, suivis des autres femmes des familles paternelle et maternelle, offrent des cadeaux, souvent des pagnes traditionnels et des bijoux en or, symboles de statut et de valeur. Un repas de fête est partagé pour clore la cérémonie en grande pompe.
Ce rituel, loin d’être une simple formalité, est un acte de communication non verbale qui signale à toute la communauté que la jeune femme a atteint la maturité. La dimension contraignante du rite, avec l’attente des pleurs, souligne la profondeur des attentes sociales et l’importance de l’adhésion aux normes culturelles traditionnelles.
Tableau 3 : Les quatre étapes du rituel Atovlê
| Étape | Description | Signification symbolique |
|---|---|---|
| Baptême | Une doyenne éclabousse la jeune fille avec de l’eau. Les pleurs sont attendus. | Marque l’immersion dans la culture et la transition vers l’âge adulte. |
| Lavage | La jeune fille est lavée, parée de perles et d’un pagne Kodjo rouge. |
Cérémonie de purification et symbolisme de la vie. |
Jeu (N'dolo) |
La Atovlê fait sa première apparition publique pour participer au jeu avec ses pairs. |
Début officiel dans la communauté en tant que « nouvelle femme ». |
| Repas et présents | Des sacrifices sont faits aux ancêtres et des cadeaux sont offerts. Un repas de fête est partagé. | Bénédiction des ancêtres et reconnaissance sociale de la nouvelle maturité. |
Tableau 3 : Les quatre étapes du rituel Atovlê
| Étape | Description | Signification symbolique |
|---|---|---|
| 1 • Baptême | Une doyenne éclabousse la jeune fille avec de l’eau. Les pleurs sont attendus. | Marque l’immersion dans la culture et la transition vers l’âge adulte. |
| 2 • Lavage | La jeune fille est lavée, parée de perles et d’un pagne Kodjo rouge. | Cérémonie de purification et symbolisme de la vie. |
| 3 • Jeu N’dolo | La Atovlê fait sa première apparition publique pour participer au jeu avec ses pairs. | Début officiel dans la communauté en tant que « nouvelle femme ». |
| 4 • Repas et présents | Des sacrifices sont faits aux ancêtres et des cadeaux sont offerts. Un repas de fête est partagé. | Bénédiction des ancêtres et reconnaissance sociale de la nouvelle maturité. |
5.2. Croyances traditionnelles et coexistence des religions modernes
La spiritualité Agba s’inscrit dans le cadre des croyances animistes des Baoulé. Leur cosmogonie est divisée en trois mondes distincts : le firmament, domaine de Dieu (Nyamien), le monde terrestre des vivants (humains, animaux, plantes) et des esprits de la nature, et l’au-delà (blôlô), qui est la demeure des âmes des ancêtres. Le culte des ancêtres est un pilier de la religion traditionnelle.
L’animisme est historiquement la croyance principale, bien que le christianisme et l’islam aient gagné en importance. Aujourd’hui, ces deux religions coexistent avec les pratiques traditionnelles, et leur influence est croissante, au point de commencer à prendre le pas sur les anciennes croyances. Cela reflète une adaptation de la société Agba à un monde de plus en plus globalisé, où les croyances ancestrales s’enrichissent ou se mêlent à des spiritualités importées.
L’artisanat Baoulé est mondialement reconnu, notamment pour ses sculptures de masques et de statuettes. Les Agba, bien qu’appartenant à cette tradition, se distinguent par une esthétique qui leur est propre. Alors que certains peuples Baoulé sont connus pour des masques aux formes agressives, les statuettes Agba sont réputées pour leur « douceur » et leur « sérénité ». Cette particularité artistique est un marqueur identitaire fort. Les sculptures Agba, souvent en bois, se distinguent par un raffinement qui les différencie des styles plus austères ou dramatiques d’autres sous-groupes.
Cette distinction ne se limite pas aux statuettes. L’artisanat Baoulé englobe également la production de pagnes tissés (pagnes baoulé) ainsi que l’orfèvrerie. Les Baoulé vouent un « culte » à l’or, un métal qui symbolise l’héritage, le pouvoir et l’opulence, et qu’il faut mériter plutôt que de voler. Ces pratiques artistiques et artisanales, y compris les statuettes
waka sran ou les masques goli, contribuent à la richesse culturelle du peuple Baoulé dans son ensemble, mais l’esthétique propre aux Agba témoigne d’une identité culturelle distincte et précieusement préservée.
6. Fondements et transformations économiques
6.1. L’économie traditionnelle : agriculture, commerce et chasse
Historiquement, l’économie des Agba, comme celle des autres Baoulé, reposait sur un équilibre entre agriculture, commerce et d’autres activités de subsistance. L’agriculture était l’activité principale, centrée sur la culture de l’igname et du maïs. Par ailleurs, les Agba, tout comme le groupe Baoulé, étaient des acteurs clés dans les réseaux commerciaux de la région. Ils exploitaient des gisements aurifères et produisaient des pagnes prisés. Grâce à leur position de carrefour entre la forêt dense et la savane, ils servaient d’intermédiaires entre les peuples du nord (Malinké, Sénoufo, Dyoula) et les groupes forestiers au sud. Ils échangeaient leur or et leurs pagnes contre du sel, du fer, du bétail, et plus tard, des armes à feu et de la poudre. La chasse était également une source de revenus importante pour certaines familles, la vente de gibier comme l’agouti, la biche et la gazelle étant une activité majeure sur les marchés.
6.2. L’impact des cultures de rente coloniales
La colonisation française a profondément transformé l’économie traditionnelle. L’introduction des cultures de plantation, en particulier du café et du cacao, a été le fondement de la croissance économique pendant une période. Les Agba, forcés d’apprendre de nouveaux modes d’exploitation, se sont d’abord lancés dans cette agriculture. Cependant, les rendements et les profits ont fini par décliner. L’économie de plantation, qui a jadis fait la prospérité de la région, n’est plus considérée comme une activité économiquement rentable, ce qui a provoqué un retour à d’autres formes d’activités.
6.3. Moyens de subsistance contemporains
Aujourd’hui, l’économie rurale des Agba est principalement axée sur la subsistance, bien que certaines activités de commerce perdurent. Dans le département de Bocanda, plus de des superficies cultivées sont consacrées aux cultures vivrières. L’igname est la culture principale, occupant
des terres, suivie par le riz pluvial (). Ces deux produits, qui occupent plus de des surfaces cultivées, sont principalement destinés à la consommation familiale, et l’excédent est parfois vendu sur les marchés locaux.
Cependant, cette agriculture, pratiquée avec des outils rudimentaires et sans modernisation, exige un effort physique considérable et offre peu de revenus. Cette situation a conduit à une émigration importante des jeunes vers les centres urbains pour chercher des opportunités. La chasse, en revanche, a conservé son importance en tant que source de revenus. La vente de gibier reste une activité économique significative pour de nombreuses familles, notamment sur le marché de Dimbokro. Cela démontre la résilience de certaines pratiques traditionnelles qui ont su s’adapter pour compenser le déclin de l’agriculture de rente.
Tableau 4 : Superficie des principales cultures dans le département de Bocanda (2004)
| Culture | Superficie (ha) | Pourcentage (%) |
|---|---|---|
| Igname | 609 | 37,11 |
| Riz pluvial | 387 | 23,58 |
| Caféier | 96 | 5,85 |
| Banane plantain | 60 | 3,66 |
| Cacaoyer | 58 | 3,53 |
| Maïs | 31 | 1,89 |
| Autres cultures | 400 | 24,38 |
| Total | 1641 | 100 |
Tableau 4 : Superficie des principales cultures dans le département de Bocanda (2004)
| Culture | Superficie (ha) | Pourcentage (%) |
|---|---|---|
| Igname | 609 |
37,11 |
| Riz pluvial | 387 |
23,58 |
| Caféier | 96 |
5,85 |
| Banane plantain | 60 |
3,66 |
| Cacaoyer | 58 |
3,53 |
| Maïs | 31 |
1,89 |
| Autres cultures | 400 |
24,38 |
| Total | 1 641 |
100 |
7. Conclusion : continuité et changement à l’ère moderne
7.1. Synthèse des observations
Le peuple Agba est un exemple fascinant de résilience et de complexité culturelle. Ce rapport a démontré que leur identité est une imbrication de plusieurs couches, alliant une histoire partagée avec le groupe Baoulé et le grand récit de la migration Akan, à des particularismes qui leur sont propres. Leur structure sociale, ancrée dans le matrilinéarisme et une organisation tribale évolutive, a prouvé sa capacité à se maintenir malgré les épreuves historiques. Le rapport a mis en évidence leur tradition de résistance, illustrée par leur farouche opposition à la colonisation française. Cette opposition, cependant, n’a pas été sans failles, et l’exploitation des rivalités internes, notamment avec les N’Zikpri, a joué un rôle décisif dans le succès de la pacification coloniale.
Sur le plan culturel, les Agba se distinguent par des rites de passage profonds comme le rituel Atovlê, qui codifient de manière rigoureuse le statut social, ainsi que par une production artistique unique, réputée pour sa « sérénité ». Économiquement, ils ont traversé un cycle de transformation, passant d’un modèle traditionnel diversifié à l’adoption de l’agriculture de rente sous la contrainte coloniale, pour finalement revenir à une économie de subsistance qui coexiste avec des activités anciennes et essentielles comme la chasse.
7.2. La préservation de l’identité face à la modernité
Le parcours du peuple Agba, de leur histoire ancienne à leur réalité contemporaine, illustre une dynamique d’équilibre entre la continuité et le changement. Face à un déclin économique de l’agriculture de rente et à la pression de l’émigration des jeunes, les Agba puisent dans leurs traditions pour maintenir leur cohésion sociale. La chefferie traditionnelle continue de jouer un rôle de médiation et d’adaptation, se positionnant comme un acteur pertinent dans la gouvernance moderne et la défense des droits.
Leur identité culturelle, qui se manifeste dans des rituels ancestraux et une production artistique distincte, témoigne d’une capacité à préserver un héritage unique au sein d’un ensemble ethnique plus vaste. En fin de compte, le peuple Agba, dans sa réalité multidimensionnelle, incarne une culture vivante qui, loin d’être figée dans le temps, se redéfinit constamment à l’intersection de son passé glorieux, de ses structures sociales solides et des défis du monde contemporain.




