
1. Introduction
Le pagne traditionnel Baoulé, désigné sous le nom de « wawlé tanni » en langue Baoulé, constitue un savoir-faire ancestral profondément enraciné dans le patrimoine culturel du peuple ivoirien. Ce tissu se distingue par sa confection artisanale, souvent caractérisée par une texture légèrement rugueuse et une épaisseur notable. Ses motifs variés et éclatants, parfois dominés par le blanc et le noir, en font une étoffe visuellement remarquable.
Au-delà de sa matérialité, le pagne Baoulé est perçu comme un héritage vivant, porteur de l’esprit et de la mémoire collective de la communauté. Il est métaphoriquement décrit comme « un poème de fils tendus entre hier et aujourd’hui » , illustrant sa capacité à raconter une histoire continue à travers le temps. La reconnaissance nationale et internationale de ce textile est principalement attribuée à sa qualité intrinsèque et à l’éclat de ses motifs colorés.
Malgré son importance culturelle et économique indéniable, le pagne Baoulé n’est pas toujours valorisé à sa juste mesure, ce qui se traduit par un « déficit d’informations » concernant ses multiples fonctions. Cette étude vise à décrire de manière exhaustive ces fonctions et à plaider pour une reconnaissance et une appréciation accrues de ce patrimoine. Le rapport mettra en lumière les contributions économiques, sociales et culturelles significatives du pagne, soulignant son rôle crucial en tant qu’actif culturel nécessitant une préservation et une promotion actives pour les générations futures.
La persistance du pagne Baoulé, un savoir-faire ancestral et un héritage vivant, à travers les siècles, même face à des influences extérieures telles que la concurrence des tissus industriels comme le Wax et des défis internes comme le manque de valorisation et d’information , témoigne d’une profonde résilience culturelle. Il ne s’agit pas d’un artisanat statique, mais d’un élément dynamique au cœur de l’identité Baoulé, résistant activement à l’érosion. La métaphore du pagne comme une « boussole textile qui relie les êtres à leur territoire et à leur histoire » illustre parfaitement son rôle d’ancrage culturel stable dans un monde en mutation. Cette résilience intrinsèque positionne le pagne Baoulé comme un symbole puissant non seulement pour le peuple Baoulé, mais aussi pour l’identité culturelle nationale de la Côte d’Ivoire dans son ensemble. Sa survie et son adaptabilité continues reflètent l’engagement inébranlable de la communauté envers son héritage, attestant du pouvoir durable des arts traditionnels face aux forces de la modernisation et de la mondialisation.
2. Origines Historiques et Fondements Culturels du Pagne Baoulé
Racines Akan et Héritage Ashanti
Le pagne Baoulé est reconnu comme un « héritier du royaume ashanti » et possède de profondes « racines Akan ». Le peuple Baoulé lui-même fait partie intégrante du groupe ethnique Akan, résidant principalement dans la région centrale de la Côte d’Ivoire, à proximité de villes importantes comme Bouaké et Yamoussoukro. Son origine historique remonte au royaume Ashanti du XVIe siècle , avec une genèse plus spécifique au XVIIIe siècle. C’est à cette époque que les femmes Baoulé, descendantes du royaume Ashanti au Ghana, ont apporté avec elles des graines de coton lors de leur migration vers la Côte d’Ivoire. Leur culture, filage et tissage ultérieurs de ce coton ont jeté les bases d’une tradition artisanale qui perdure depuis plus de trois siècles. Initialement, les Baoulé ont appris l’art du tissage de leurs voisins Gouro, qui le pratiquaient déjà. Au fil du temps, les Baoulé ont considérablement développé et affiné cette activité, introduisant des techniques uniques qui sont devenues distinctives de leur propre culture.
Transmission Ancestrale du Savoir-Faire
La technique de tissage est fondamentalement un « savoir-faire ancestral » méticuleusement transmis « de génération en génération ». Il est à noter que cet artisanat est principalement transmis « de père en fils » , le tissage étant une activité exclusivement réservée aux hommes au sein du groupe ethnique Baoulé. Les femmes, cependant, jouent un rôle complémentaire crucial, étant traditionnellement responsables de la préparation du coton, y compris le filage, le lavage et la teinture, ainsi que la sélection des combinaisons de couleurs. La maîtrise de cette technique complexe exige généralement un engagement de plusieurs années, souvent de 5 à 7 ans d’apprentissage dédié. Les enfants sont immergés dans cet univers textile dès leur plus jeune âge, apprenant par l’observation, l’engagement tactile et la pratique quotidienne constante, intégrant ainsi les gestes et les connaissances de leurs aînés. La transmission de ce savoir est largement orale et intergénérationnelle, ce qui est illustré par l’adage local « chaque village a sa main ». Cette expression signifie que, bien que les techniques fondamentales soient partagées dans toute la zone de production, il existe des variations locales subtiles et des styles distinctifs qui découlent des pratiques propres à chaque village.
La division du travail dans la production du pagne Baoulé, où les hommes sont exclusivement les tisserands et les femmes se chargent de la préparation du coton, n’est pas une simple répartition pratique des tâches. Elle constitue une institution culturelle profondément ancrée. L’exclusion des femmes de l’acte de tissage est liée à des croyances et à des rôles de genre perçus en rapport avec les tâches ménagères et la rentabilité. Cela signifie que le tissage est un héritage masculin , suggérant que l’artisanat porte une dimension rituelle ou statutaire significative au-delà de la simple acquisition de compétences. Cette institutionnalisation des rôles de genre dans le tissage renforce les structures sociétales traditionnelles et met en évidence la manière dont les croyances culturelles façonnent profondément les activités économiques et la transmission intergénérationnelle des connaissances spécialisées. Cela implique également un aspect cérémoniel ou sacré au rôle masculin dans le tissage, le distinguant des autres tâches liées au textile. Ce système de transmission genré, bien qu’historiquement efficace pour préserver la tradition, pourrait poser des défis importants dans les contextes modernes. Si la participation masculine au tissage diminue en raison de pressions économiques ou d’aspirations sociétales changeantes, comme l’abandon de l’artisanat par certains artisans , le mécanisme même de transmission est menacé. Cela soulève des questions critiques quant à l’adaptabilité future et à la durabilité de la tradition si les rôles de genre traditionnels évoluent ou si les incitations économiques ne soutiennent pas adéquatement les tisserands, ce qui pourrait entraîner une perte de compétences ou de connaissances spécifiques.
Rôle Traditionnel et Évolution Historique
Historiquement, les premiers pagnes tissés étaient principalement destinés à la consommation locale au sein des communautés Baoulé. Avec l’augmentation de la demande, la production s’est étendue, et les pagnes ont commencé à être commercialisés et vendus dans les campements, villages et villes voisins. Dans son histoire plus ancienne, le pagne jouissait d’un statut exclusif, étant réservé aux rois et chefs Akan, symbolisant ainsi la noblesse, le prestige et la grandeur. Le Kita, un tissu Akan apparenté, constituait la base de l’habillement des rois et chefs Akan, Ga et Ewé. Aujourd’hui, cette exclusivité s’est considérablement élargie ; le pagne est porté par des individus de toutes les couches sociales pour une multitude d’occasions, en particulier lors de cérémonies traditionnelles importantes telles que les mariages, les funérailles, les rites d’initiation et diverses fêtes communautaires. Dans ce contexte contemporain, il sert à marquer les étapes de la vie et incarne fièrement les valeurs familiales et les affiliations ethniques. Le pagne est vénéré comme un « monument de la culture africaine » , tissé dans le tissu de la vie de la naissance à la mort, et est parfois même utilisé comme un talisman protecteur.
Cette évolution du pagne, d’un article exclusif de la royauté et de la noblesse à un textile largement accessible et populaire, marque une profonde démocratisation d’un symbole culturel autrefois réservé. Ce qui était initialement un marqueur de « noblesse et grandeur » et un indicateur de « royauté, statut élevé » sert désormais une fonction plus large en tant qu' »ancrage, une boussole textile qui relie les êtres à leur territoire et à leur histoire » pour l’ensemble de la communauté. Cela révèle un puissant mouvement culturel où les symboles de pouvoir et d’identité ne sont pas seulement préservés par une élite, mais sont activement revendiqués, partagés et adoptés par la population au sens large, renforçant ainsi une identité collective plutôt que de simplement consolider un statut hiérarchique. Cette popularisation indique un processus culturel dynamique où le sens est renégocié et élargi. Cette diffusion généralisée est absolument cruciale pour la survie continue du pagne et sa valorisation accrue à l’ère moderne. En devenant un tissu pour « toutes les occasions », il assure une base de consommateurs considérablement plus large et maintient sa pertinence culturelle au-delà des hiérarchies traditionnelles rigides. De plus, cela positionne le pagne comme un élément culturel dynamique et adaptable, capable d’évoluer dans son usage et sa perception tout en conservant fermement son sens symbolique et historique fondamental, contribuant ainsi à une identité nationale vibrante et inclusive.
3. Techniques et Processus de Tissage Traditionnel
Matériaux Utilisés (Coton, Soie, Raphia, Teintures Naturelles)
La composition essentielle du pagne Baoulé repose sur l’utilisation de « fils de coton, soie ou rafia teints en plusieurs couleurs ». Bien que traditionnellement fabriquée à partir de fibres naturelles, la production contemporaine peut également intégrer « un mélange de fibre synthétique et de coton ou des fils de laine ou des fibres synthétiques disponibles dans le commerce » , ce qui témoigne d’une certaine adaptation aux disponibilités matérielles et aux coûts modernes. Les teintures naturelles, en particulier l’indigo, sont historiquement et couramment employées pour colorer les fils, contribuant ainsi à l’esthétique authentique du pagne. La qualité des matières premières d’origine et la précision du processus de teinture sont fondamentales pour la durabilité et la longévité du pagne fini , influençant sa capacité à être conservé sur le long terme.
Outils et Métiers à Tisser
Le tissu est méticuleusement « tissé à la main sur des métiers en bois », souvent installés dans des espaces domestiques traditionnels tels que « la cour familiale ou sous un auvent, à l’ombre d’un arbre » , soulignant la nature artisanale et communautaire de l’artisanat. Le processus de tissage nécessite la manipulation habile de pédales et de cadres pour entrelacer de manière complexe les fils de chaîne et de trame, créant ainsi les motifs distinctifs. Les outils traditionnels spécifiques mentionnés comprennent la « navette (Kloklo) » et les « lisses (N’zalé) » , qui sont essentiels aux aspects mécaniques du tissage. Au fil des ans, les métiers à tisser traditionnels ont été modernisés, devenant « plus larges pour avoir de plus grandes largeurs de tissus et permettre aux créateurs d’aller court à leur imagination ». Cette adaptation permet la production de tissus plus larges, répondant ainsi aux exigences de conception évolutives et aux tendances de la mode contemporaine.
Étapes de Confection : De la Préparation du Fil à l’Assemblage des Bandes
L’ensemble du processus de production, de la création des outils et équipements à la coloration des fils et au tissage final, est réalisé « entièrement à la main par des artisans et tisserands locaux » utilisant des techniques qui remontent au Xe siècle.
- Préparation du fil : Cette étape initiale consiste à étirer des quantités considérables de fil autour de piquets plantés dans le sol, puis à le laver. Pour certaines variétés de tissu, comme le Blénou Tani, des « masques en caoutchouc (appelés ‘Dolay’) » sont appliqués sur des parties spécifiques du fil pour empêcher la teinture, créant ainsi les motifs souhaités. Inversement, pour des variétés plus prestigieuses comme le Nankanfian, le motif est créé de manière complexe uniquement pendant le processus de tissage, ce qui exige une habileté et un effort accrus. Ce sont principalement des artisanes qui sont responsables de la transformation du coton brut en fils simples à l’aide d’un fuseau.
- Blanchiment et teinture : Le fil nouvellement filé est blanchi pour éliminer les impuretés et la saleté, suivi d’une phase de séchage initiale au soleil. Ensuite, le fil est teint à l’aide de teintures naturelles, qui peuvent être d’origine minérale ou végétale, les feuilles d’indigo étant une source courante. Après avoir été trempés dans le colorant, les fils sont à nouveau séchés.
- Mise en place du motif : Avant le tissage, le tisserand conceptualise méticuleusement le motif, puis dispose les fils colorés sur deux supports en bois, en les alignant selon l’apparence finale souhaitée du tissu. Cette étape exige de la prévoyance et une vision artistique.
- Tissage : Les fils colorés sont ensuite tissés à la main en bandes étroites, généralement de 10 à 15 cm de large. Il s’agit d’une tâche exigeante physiquement et mentalement, qui requiert une concentration significative, un sens précis du rythme et la capacité de maintenir la tension du fil, souvent à l’aide d’un poids suspendu.
- Assemblage : Une fois les bandes individuelles tissées, elles sont cousues ensemble, bord à bord, pour former le pagne complet. Le nombre de bandes varie généralement de 9 à 11, selon les dimensions souhaitées du tissu final. Cette couture peut être réalisée à la main en zigzag ou à la machine à coudre. Des sections non tissées sont délibérément laissées aux extrémités des bandes, qui, une fois coupées, forment naturellement les franges caractéristiques du tissu. Le temps de production varie ; un seul pagne (moins de 2 mètres) peut prendre entre 7 et 14 jours , tandis que dans des villages comme Condéouro, il faut environ 4 jours pour concevoir un pagne.
La Transmission du Métier de Tisserand
L’artisanat est un héritage exclusivement masculin, transmis directement de père en fils. Les femmes sont traditionnellement exclues du processus de tissage lui-même en raison de croyances culturelles et de rôles de genre. Cette transmission est largement informelle, se produisant par l’observation et la pratique continue dès la petite enfance, permettant aux jeunes générations d’absorber organiquement les compétences et les connaissances complexes.
La description du pagne comme « entièrement fait à la main » et « ancestral » souligne ses racines profondes dans la tradition, ce qui implique intrinsèquement un processus de production intensif en main-d’œuvre et en temps. Cependant, il existe une tension manifeste entre le maintien de ces techniques manuelles anciennes et l’adoption de matériaux modernes et de métiers à tisser plus larges. Cette « modernisation » des métiers à tisser et l’introduction de fibres synthétiques ne sont pas de simples améliorations technologiques, mais des adaptations pragmatiques dictées par les exigences du marché, telles que la demande de tissus plus larges pour la mode contemporaine, la réduction potentielle des coûts, ou la gestion des pénuries de matériaux comme la fermeture des usines de coton ivoiriennes.
Ces adaptations, bien qu’elles visent à assurer la viabilité commerciale et à offrir une liberté créative aux designers, pourraient subtilement diluer l’essence « traditionnelle » si elles ne sont pas gérées avec soin. L’expression « chaque village a sa main » suggère une approche artisanale décentralisée et unique, qui pourrait être mise à l’épreuve par la standardisation nécessaire à une intégration plus large sur le marché. Cela est directement lié au défi posé par les « contrefaçons imprimées » , qui offrent une alternative nettement moins chère, exerçant une pression immense sur les artisans traditionnels pour qu’ils s’adaptent ou fassent face à de graves difficultés économiques, voire abandonnent leur métier. L’identité de l’artisan évolue ainsi d’une identité purement traditionnelle vers une identité qui navigue entre héritage et réalités du marché.
La durabilité à long terme et l’intégrité culturelle du tissage Baoulé dépendent d’une gestion habile de cet équilibre. Il est impératif d’adopter des innovations qui soutiennent la viabilité économique de l’artisanat tout en protégeant rigoureusement l’intégrité artisanale fondamentale, les connaissances traditionnelles et les significations symboliques qui définissent sa valeur culturelle. Cette tension est un défi universel auquel sont confrontés de nombreux métiers traditionnels qui tentent de survivre et de prospérer dans une économie mondialisée et axée sur la production de masse. Le résultat déterminera si le pagne restera un artefact culturel authentique ou deviendra simplement un textile décoratif.
4. Symbolisme et Langage du Pagne Baoulé
Motifs, Symboles et Leurs Significations Intrinsèques
Le pagne Baoulé est fondamentalement un « langage tissé » , où « chaque motif a un nom, une histoire, une signification ». Ces motifs ne sont pas de simples ornements ; ils sont « porteurs de sens, parfois inspirés de proverbes, d’enseignements moraux ou de symboles ancestraux ». Les significations véhiculées par ces motifs peuvent être profondes, évoquant des thèmes tels que la « maternité, la fidélité, la sagesse, la mémoire collective ».
Des exemples spécifiques de motifs et de leurs significations associées incluent :
- « bê ni timan n’gnon » (on n’a qu’une seule mère), un motif qui rend hommage au lien maternel.
- « Goli », qui fait référence aux masques traditionnels utilisés lors des cérémonies rituelles.
- Les colombes, symbolisant la paix.
- Les pigeons, symbolisant l’amour.
- Les bras croisés, symbolisant l’unité et la solidarité.
- « Walaima », du nom d’un arbre, présentant des frises « morwi kpakpa » représentant les fruits d’un arbre forestier.
- « Morwi clair », caractérisé par des motifs d’escalier rouge bordeaux et blanc.
- « Fouheloi », signifiant « queue de buffle », dont les motifs ressemblent à un oiseau au long bec et à la gorge inférieure jaune distinctive.
Le pagne fonctionne comme une « palette d’expressions, une esthétique du sens autant que de la forme ». En le portant, les individus peuvent « faire passer un message, revendiquer une identité ou rappeler un principe fondateur ». La signification culturelle de ces motifs est reconnue par la protection de la propriété intellectuelle ; plus de 400 motifs de pagnes Baoulé sont protégés.
L’Importance des Couleurs et Leur Portée Culturelle
Le choix et la combinaison des couleurs dans un pagne ne sont jamais arbitraires ; ils sont méticuleusement sélectionnés, souvent en relation directe avec l’événement spécifique ou le message que l’on souhaite véhiculer. Bien que certains éléments mentionnent la présence de « blanc et noir pour certains types de pagnes » , des significations symboliques spécifiques pour les couleurs Baoulé ne sont pas toujours détaillées dans toutes les sources fournies. Cependant, la fonction esthétique est explicitement liée au symbolisme des couleurs, la présence du rouge symbolisant spécifiquement le pouvoir et la force.
En s’appuyant sur le symbolisme général des couleurs Akan (comme on le voit dans le Kente, qui partage des racines Akan avec la culture Baoulé ), les interprétations suivantes sont pertinentes :
- Blanc : Pureté, innocence, spiritualité et paix (psychique, collective et intérieure).
- Jaune : Opulence, préciosité, santé, richesse (financière, spirituelle, intellectuelle) et fertilité.
- Or : Royauté, statut social élevé, gloire et pureté spirituelle.
- Noir : Deuil, énergie spirituelle et maturité.
- Vert : Vie, croissance, bonne santé, harmonie et renouveau spirituel.
- Bleu : Élévation, communion, humilité, patience, sagesse, paix, harmonie et amour.
- Rouge : Effusion de sang, rites sacrificiels, mort et vitalité
Le Pagne comme Vecteur de Communication et d’Identité
Le pagne est véritablement un « langage à part entière, compréhensible pour qui sait le lire ». Il fonctionne comme un « miroir », reflétant et transmettant l’identité, agissant comme un langage complexe construit sur des catégories, des signes et des symboles. Plus important encore, il sert à identifier distinctement le peuple Baoulé parmi les autres groupes ethniques et améliore considérablement la dignité personnelle et la valeur du porteur au sein de la communauté.
La fonction des motifs du pagne, qui ne sont pas de simples décorations mais sont « inspirés de proverbes, d’enseignements moraux ou de symboles ancestraux » , et le fait que « chaque motif a un nom, une histoire, une signification spécifique » , révèlent que le pagne va bien au-delà du simple symbolisme. Il fonctionne comme une archive vivante et dynamique de la culture Baoulé. C’est un « texte dynamique » qui peut être « lu » par ceux qui possèdent la littératie culturelle nécessaire pour comprendre ses codes complexes. Le fait que les motifs soient inspirés de « proverbes » suggère un lien direct et intime avec les traditions orales Baoulé et leur sagesse collective, faisant du textile une extension tangible de leur patrimoine intellectuel. Cela positionne le pagne comme un outil puissant de transmission non seulement des normes culturelles et des récits historiques, mais aussi, et c’est important, des commentaires sociaux contemporains, comme en témoigne le motif « Kpèta » faisant référence à la politique de reboisement. Cela indique que les motifs du pagne ne sont pas des reliques historiques statiques, mais peuvent évoluer pour refléter de nouvelles valeurs sociétales, des événements significatifs, voire des messages politiques, en faisant un document culturel continuellement mis à jour. Cette profondeur communicative fait du pagne une ressource ethnographique inestimable pour comprendre la société Baoulé. Sa préservation ne consiste donc pas seulement à maintenir un artisanat traditionnel ; il s’agit de sauvegarder une forme unique de littératie culturelle, un système de communication complexe et un dépôt vivant de l’histoire intellectuelle et sociale Baoulé. Le statut d’Indication Géographique Protégée (IGP) est donc plus qu’une protection économique ; c’est une reconnaissance cruciale de cette profonde propriété intellectuelle et culturelle, reconnaissant la valeur intrinsèque des connaissances intégrées dans chaque fil et motif.
Tableau : Symbolisme des Motifs et Couleurs du Pagne Baoulé
| Élément Symbolique | Signification | Catégorie | Source(s) |
|---|---|---|---|
| « bê ni timan n’gnon » | Hommage au lien maternel (« on n’a qu’une seule mère ») | Motif | |
| « Goli » | Référence aux masques rituels traditionnels | Motif | |
| Colombes | Paix | Motif | |
| Pigeons | Amour | Motif | |
| Bras croisés | Unité et solidarité | Motif | |
| « Walaima » | Motifs représentant les fruits « morwi kpakpa » ; associé à la richesse | Motif | |
| « Morwi clair » | Motifs d’escalier rouge bordeaux et blanc ; associé à la richesse | Motif | |
| « Fouheloi » | Motifs ressemblant à un oiseau au long bec ; richesse et beauté | Motif | |
| « Nakanfian » | Propreté, exclusivité, beauté (pagne coûteux) | Motif | |
| « Kpèta » | Adhésion à la politique de reboisement | Motif | |
| « Monnain thin n’gnon » | Dissimulation de l’impureté, double-face esthétique | Motif | |
| Rouge | Pouvoir, force, effusion de sang, vitalité | Couleur | |
| Blanc | Pureté, paix, spiritualité | Couleur | |
| Jaune | Richesse, fertilité, santé | Couleur | |
| Or | Royauté, statut élevé, gloire | Couleur | |
| Noir | Deuil, maturité, énergie spirituelle | Couleur | |
| Vert | Vie, croissance, harmonie | Couleur | |
| Bleu | Paix, sagesse, amour, humilité | Couleur | |
| Gris | Purification, guérison (cendre) | Couleur | |
| Marron | Guérison, ancrage (Terre-mère) | Couleur | |
| Rose | Douceur, calme, essence de la femme | Couleur | |
| Violet | Féminité, noblesse spirituelle | Couleur | |
| Argent | Joie, pureté lunaire, sérénité | Couleur |
Note : Les significations des couleurs sont principalement dérivées du symbolisme général Akan, tel qu’observé dans le pagne Kente, qui partage des racines culturelles avec le pagne Baoulé. Les documents fournis ne détaillent pas toutes les significations spécifiques des couleurs pour le pagne Baoulé lui-même, mais confirment le lien entre l’esthétique et le symbolisme des couleurs, notamment pour le rouge.
5. Fonctions Socio-Économiques et Culturelles
Fonctions Esthétique, de Cohésion Sociale et de Socialisation
Le pagne est hautement apprécié pour sa beauté inhérente, qui améliore considérablement l’apparence du porteur, en particulier lors des cérémonies traditionnelles et coutumières, y compris les festivités et les funérailles. La qualité et la manière de porter le pagne sont souvent intrinsèquement liées à l’importance de l’événement et au statut social du porteur. Des exemples incluent le pagne « Nakanfian », dont le nom signifie propreté ou hygiène dans la langue locale, et qui est un article coûteux, signifiant ainsi son exclusivité et sa beauté. Le pagne « Monnain thin n’gnon », notable pour être double face, remplit une fonction anthropologique en permettant au porteur de choisir un côté en fonction du jour, ce qui aide à dissimuler l’impureté et à maintenir son éclat, reliant directement l’éclat à la présentation esthétique.
Le pagne est un puissant « moteur de vie et de cohésion sociale dans les villages ». L’acte même du tissage favorise un « tissu social » robuste grâce au partage actif des connaissances, à l’entraide entre artisans et à la formation systématique des jeunes générations. Cette fonction promeut des vertus telles que l' »amour des autres » et renforce les liens non seulement entre les tisserands eux-mêmes, mais aussi entre les tisserands et leurs clients. L’industrie du pagne traditionnel Baoulé sert de « seconde éducation » pour la communauté, jouant un rôle crucial dans l’inculcation des valeurs et des pratiques aux jeunes générations. La transmission des compétences en tissage est un héritage exclusivement masculin, transmis de père en fils, les femmes étant traditionnellement exclues de cet artisanat spécifique en raison de croyances établies et de rôles de genre perçus liés aux tâches ménagères et à la rentabilité.
Le Pagne comme Symbole de Notoriété et de Richesse
Le pagne traditionnel confère un statut distinct et spécial aux individus ou aux groupes sociaux, servant de puissant marqueur d’identité et de symbolisme. Il est essentiel pour identifier le peuple Baoulé distinctement parmi les autres communautés et améliore considérablement la dignité personnelle et la valeur du porteur. Le pagne Baoulé est sans équivoque considéré comme un « trésor » et un puissant « symbole de richesse ». Certains types de pagnes, tels que « Walaima », « Morwi clair » et « Fouheloi », sont explicitement associés à la richesse et au statut. Historiquement, le volume de richesse légué par un individu, y compris les pagnes accumulés, était un déterminant direct de son « nom » et de son statut en tant que « ztmyê important » (personne importante), à qui des références fréquentes et de grands sacrifices seraient faits.
Dans le système économique traditionnel Baoulé, les pagnes étaient au centre des « phénomènes ostentatoires » et des « transferts de biens », en particulier lors d’événements importants du cycle de vie comme les mariages atô-vlè, les cultes et les funérailles. Dans ces contextes, les pagnes étaient mis en évidence, échangés dans des transactions non marchandes, ou même rituellement détruits, soulignant leur signification symbolique et économique au-delà de la simple utilité.
Le pagne est identifié comme un « symbole de richesse » et est profondément impliqué dans les « phénomènes ostentatoires » et les « transferts de biens » lors d’événements importants du cycle de vie. Simultanément, il est également la « première source de revenu » pour de nombreuses communautés. La description détaillée des « phénomènes ostentatoires » révèle que le pagne n’était pas simplement une marchandise à acheter et à vendre au sens commercial, mais un élément pivot dans un système économique traditionnel sophistiqué. Dans ce système, la richesse était affichée, redistribuée et même rituellement détruite, principalement à des fins de légitimation sociale, de prestige et de maintien de l’ordre social, plutôt que pour une simple accumulation de capital. Cela signifie que la valeur du pagne n’était pas uniquement dictée par le marché, mais était profondément ancrée dans les échanges sociaux et rituels, fonctionnant comme une forme de « monnaie sociale » qui renforçait les hiérarchies, les obligations et l’honneur familial. Le fait que sa vente finance désormais directement des besoins modernes comme l’éducation des enfants met en évidence son adaptabilité remarquable, lui permettant de fonctionner comme un actif économique contemporain tout en conservant ses fonctions traditionnelles et cérémonielles profondes. Cette double nature illustre une interaction complexe entre les rationalités économiques traditionnelles et modernes. Comprendre ce rôle multifacette – à la fois comme source de revenu principale pour les besoins quotidiens et comme moyen essentiel d’affichage et de transfert de richesse traditionnelle – est crucial pour concevoir des stratégies de valorisation véritablement efficaces et durables. Cela suggère que les interventions économiques ne devraient pas se concentrer exclusivement sur l’expansion des ventes sur le marché, mais doivent également prioriser la préservation et le soutien de ses fonctions culturelles et sociales, car ce sont les éléments intrinsèques qui sous-tendent sa valeur unique et assurent sa pertinence culturelle continue. Cette approche reconnaît le pagne comme une institution économique et sociale vivante, et non seulement comme un produit.
Impact sur l’Emploi et l’Autonomie Économique des Communautés
Le tissage du pagne Baoulé constitue la « première source de revenu » pour les populations des villages de production clés tels que Bomizambo , Sakassou (où 95 % du village vivrait du pagne), Bouaké, Tounzuébo, Bamoro et Allangouassou. Cet artisanat génère activement des « emplois locaux » et procure une « autonomie économique à de nombreuses familles ». Il offre des opportunités d’emploi stables et libérales aux tisserands, qui se sentent épanouis et autonomes dans leur profession. Les revenus générés par la vente des pagnes sont cruciaux pour subvenir aux besoins des familles, y compris le financement de l’éducation des enfants. Historiquement, le pagne traditionnel servait également de « monnaie et de bien d’échange » dans les réseaux commerciaux, notamment avec Tiassalé, où les produits Baoulé étaient échangés contre du sel et des marchandises d’origine européenne.
6. Défis Actuels et Initiatives de Préservation
Obstacles à la Valorisation (Coût, Contrefaçon, Manque de Structuration)
Malgré sa richesse culturelle, le pagne est souvent « pas valorisé à sa juste valeur » , en partie en raison d’un « déficit d’informations » concernant ses multiples fonctions et sa profonde signification. La « relative cherté » du pagne traditionnel constitue un obstacle majeur à son utilisation généralisée par la population. Par exemple, un pagne « gnigbélé lokouê » peut coûter entre 100 000 et 350 000 F CFA , le rendant moins accessible pour un usage quotidien. Le marché est inondé par une « prolifération des contrefaçons imprimées vendues 20 fois moins cher ». Ces imitations produites industriellement représentent une menace concurrentielle majeure pour les pagnes authentiques tissés à la main. Le tissu « Wax », bien que n’étant pas d’origine africaine, a été largement adopté et concurrence les textiles tissés traditionnels. L’augmentation du coût des matières premières, comme l’indigo, rend l’artisanat traditionnel du tissage plus onéreux à pratiquer, ce qui pousse certains artisans à l’abandonner au profit d’autres activités comme l’agriculture.
Les tisserands et autres acteurs opèrent souvent au sein d’associations ou de coopératives locales à portée limitée, manquant d’une structure organisationnelle nationale cohérente. Cet isolement entrave la mutualisation des ressources, le partage des connaissances et les actions synergiques. Malgré les efforts des créateurs de mode pour le populariser, l’utilisation du pagne reste largement confinée à des fonctions cérémonielles spécifiques ou aux élites traditionnelles. De nombreux citadins le perçoivent encore comme un vêtement « villageois » ou « campagnard », porté seulement occasionnellement lors de cérémonies. Une baisse de la qualité de certains pagnes traditionnels, attribuée à un manque de maîtrise des procédés de fabrication originaux ou à des raccourcis pris, rend leur conservation intacte plus difficile dans le temps. Les responsables gouvernementaux, les élites sociétales et les figures culturelles optent souvent pour des tenues occidentales lors des événements officiels, donnant un exemple négatif qui décourage l’adoption généralisée des pagnes traditionnels par les citoyens ordinaires. Il y a une absence notable de politique institutionnelle pour encourager le port des pagnes tissés traditionnels par le personnel public.
La célébration du pagne pour son caractère « fait main » et « ancestral » implique intrinsèquement un processus de production exigeant en main-d’œuvre et en temps. Cependant, un défi majeur réside dans sa « relative cherté » par rapport à la « prolifération des contrefaçons imprimées vendues 20 fois moins cher ». Cette situation met en évidence un paradoxe fondamental : l’authenticité même, la qualité artisanale et la nature laborieuse qui confèrent au pagne sa profonde valeur culturelle et artistique le rendent simultanément économiquement vulnérable sur un marché mondialisé dominé par le prix, la rapidité et la production de masse. Les consommateurs, souvent inconscients du processus de production complexe ou de la signification culturelle, peuvent opter pour des versions moins chères et moins authentiques, sapant ainsi involontairement l’artisanat traditionnel et ses praticiens. Cela crée un dilemme grave pour les artisans : ils doivent soit maintenir des méthodes séculaires et coûteuses et faire face à des difficultés économiques croissantes, soit s’adapter en faisant des compromis sur les matériaux (par exemple, en utilisant des fibres synthétiques ) ou les techniques, diluant potentiellement l’authenticité même qui définit le pagne. Le label Indication Géographique Protégée (IGP) est une réponse directe, bien que naissante, à ce paradoxe, visant à différencier et à protéger le produit authentique. Cependant, le fait que ses « retombées… ne sont pas encore directement ressenties par les producteurs » indique que les avantages économiques de cette protection ne se sont pas encore pleinement concrétisés, laissant les artisans dans une position précaire.
Menaces sur la Transmission du Savoir-Faire
La faible valorisation et les défis économiques rendent l’activité de tissage moins attrayante, démotivant les nouvelles générations potentielles à embrasser ce métier. Des facteurs tels que la scolarisation et l’exode rural contribuent à ce que de nombreux artisans potentiels abandonnent leurs villages pour les centres urbains, entraînant une diminution du nombre d’individus qualifiés disponibles pour perpétuer la tradition. Cela a un impact direct sur la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée et peut entraîner une détérioration de la qualité des pagnes, voire l’arrêt complet des activités de tissage dans certaines zones.
Une étape significative vers la préservation est la reconnaissance du Pagne Baoulé en tant qu’Indication Géographique Protégée (IGP) en 2023. Ce label juridique vise à protéger son origine et sa qualité, offrant un cadre pour son authenticité. L’Office Ivoirien de la Propriété Intellectuelle (OIPI) a entrepris des missions spécifiques pour recenser et documenter les motifs des pagnes Baoulé en vue de leur protection par la propriété intellectuelle (Dessins et Modèles Industriels, Droit d’Auteur). Cette initiative est conçue pour lutter contre la contrefaçon et renforcer la position des produits authentiques sur le marché.
Le statut d’IGP a conduit à la formalisation d’une organisation de producteurs, l’Organe de Défense et de Gestion (ODG) pagne baoulé, qui dispose désormais d’un siège social physique, contribuant à sa notoriété et à son rayonnement. Des programmes de formation sur la fixation des teintures sont régulièrement organisés pour assurer l’éclat et la durabilité des couleurs, évitant ainsi la décoloration. Des événements culturels, tels que le festival Tchin-Dan à Tiébissou, célèbrent et promeuvent activement le pagne Baoulé, rassemblant les tisserands et la communauté au sens large.
Des propositions pour une valorisation accrue incluent :
- La création de cadres nationaux pour unir tous les tisserands et les parties prenantes en vue d’échanges, de partage de connaissances et de mutualisation des ressources.
- L’établissement d’une foire nationale d’exposition-vente pour présenter la diversité du pagne et encourager sa consommation.
- L’institution de « Quartiers du Pagne Traditionnel Ivoirien » pour dédier des périodes spécifiques à la célébration des pagnes traditionnels des différents groupes ethniques de Côte d’Ivoire tout au long de l’année.
- L’implication active de personnalités publiques influentes (responsables gouvernementaux, artistes, personnalités médiatiques) en tant que « prescripteurs » pour encourager le port généralisé du pagne.
- L’utilisation de canaux de communication modernes, y compris les plateformes de médias sociaux et les sites web dédiés, pour améliorer la visibilité mondiale et diversifier la clientèle.
- L’emploi de divers supports de communication tels que les affiches publiques, les manuels scolaires, les habillages publicitaires de véhicules et les brochures commerciales pour diffuser des informations sur le patrimoine textile du pays.
7. Adaptations Modernes et Perspectives d’Avenir
Intégration dans la Mode Contemporaine Ivoirienne et Internationale
Le pagne Baoulé est de plus en plus présent dans les « défilés de mode africaine » et est habilement intégré par des designers renommés tels qu’Adama Paris, Cardi Diow et Imane Ayissi , ce qui démontre sa polyvalence et son attrait. Il est intégré de manière transparente dans le « vestiaire urbain et moderne » , mélangeant avec succès les esthétiques culturelles africaines et françaises. Des marques comme « Kente Gentlemen » encouragent activement la célébration et le port du pagne à l’ère moderne, soulignant ses techniques ingénieuses et intemporelles, ses motifs exquis et audacieux, ainsi que la pureté et la durabilité de ses couleurs. Ces marques collaborent directement avec les artisans, assurant un lien avec la source. Le pagne est désormais utilisé pour une gamme diversifiée de vêtements et d’accessoires modernes, allant au-delà de la tenue traditionnelle pour inclure des vestes, kimonos, sweats à capuche, divers accessoires capillaires, sacs, portefeuilles et même des articles de décoration intérieure comme des housses de coussin. Cette adoption plus large signifie qu’il est porté pour « toutes les occasions aujourd’hui » , marquant un changement significatif par rapport à son utilisation uniquement cérémonielle ou traditionnelle.
Utilisation dans l’Art et le Design Moderne
Au-delà de l’habillement, le pagne trouve de nouvelles applications dans l' »ameublement pour recouvrir des assises, en linge de maison et en maroquinerie ». Son incorporation apporte « élégance et un raffinement aux intérieurs et aux tenues » , démontrant son adaptabilité esthétique. Les motifs du pagne sont décrits comme « exquis et audacieux » , le positionnant comme une source inépuisable d’inspiration pour les industries mondiales de la mode et de l’art.
Potentiel de Développement et de Rayonnement Culturel
Le statut d’Indication Géographique Protégée (IGP) vise stratégiquement à renforcer la position du pagne sur les marchés locaux et internationaux, dans le but ultime de favoriser la croissance de la production et d’augmenter l’emploi local. La formalisation des groupements de producteurs, tels que l’ODG pagne baoulé, et la mise en œuvre d’initiatives de formation indiquent une démarche proactive vers un développement plus structuré et professionnalisé du secteur. Le pagne est perçu comme une « boussole textile qui relie les êtres à leur territoire et à leur histoire » , servant d' »ancrage » culturel dans un monde en évolution rapide. La célébration et la promotion du pagne sont considérées comme un « acte de résistance joyeux » pour assurer la vitalité continue de ce riche héritage.
L’intégration croissante du pagne dans les « défilés de mode africaine » et son incorporation dans le « vestiaire urbain et moderne » offrent de nouveaux marchés importants, une visibilité accrue et des opportunités économiques pour le pagne, le faisant passer au-delà de son usage cérémoniel traditionnel. Cependant, cette « fashionisation » est une lame à double tranchant. Bien qu’elle soit essentielle à la survie économique du pagne et qu’elle assure sa pertinence auprès des jeunes générations et des publics internationaux, elle présente également des risques inhérents. La demande de motifs « exquis et audacieux » et de formats de tissu plus larges pour les vêtements modernes pourrait involontairement pousser les artisans à privilégier les tendances esthétiques au détriment du symbolisme traditionnel, des significations spécifiques des motifs ou même des méthodes de production établies. Cela crée un équilibre délicat : il y a une ligne fine entre une adaptation respectueuse qui honore le patrimoine et une appropriation culturelle ou une dilution commerciale qui dépouille le pagne de sa signification plus profonde. Le modèle positif de collaboration avec des marques comme Kente Gentlemen , qui contribuent explicitement à l’économie locale tout en valorisant l’art, montre une voie à suivre. Cependant, l’adoption généralisée de textiles non authentiques comme le « Wax » , souvent produits industriellement et non d’origine africaine, met en évidence le potentiel des forces commerciales à éclipser et à dévaloriser les tissus authentiques, fabriqués de manière traditionnelle.
Le succès à long terme et l’intégrité culturelle du pagne dans les contextes modernes dépendent de manière critique de l’établissement et de l’application de collaborations éthiques, d’une éducation solide des consommateurs sur ses origines authentiques et ses significations profondes, et de politiques de soutien qui garantissent une juste rémunération, la reconnaissance de la propriété intellectuelle et l’autonomisation continue des artisans traditionnels. Cet équilibre déterminera finalement si les adaptations modernes servent à renforcer et à perpétuer l’identité culturelle du pagne ou si elles contribuent involontairement à son érosion. Cela souligne la nécessité d’une approche consciente et culturellement sensible de la commercialisation.
8. Recommandations pour la Valorisation et la Durabilité
Pour assurer la pérennité et le rayonnement du pagne Baoulé, il est impératif de mettre en œuvre des stratégies ciblées qui abordent les défis actuels tout en capitalisant sur son potentiel culturel et économique.
Stratégies de Promotion et de Commercialisation
- Foires Nationales d’Exposition-Vente : L’organisation annuelle de foires nationales dédiées au pagne traditionnel ivoirien, dans toute sa diversité, est essentielle. Ces événements serviraient de marchés cruciaux, permettant au public de découvrir la richesse et la variété des pagnes tissés, favorisant l’appréciation et encourageant une consommation accrue.
- « Quartiers du Pagne Traditionnel Ivoirien » : L’institution d’un programme rotatif consacrant des trimestres spécifiques à la célébration des pagnes traditionnels de chacun des quatre groupes ethnolinguistiques de Côte d’Ivoire (Akan, Krou, Mandé, Voltaïque) est recommandée. Cette initiative promouvrait les savoir-faire locaux tout en favorisant la paix et la cohésion sociale par une compréhension culturelle mutuelle.
- Engagement des Influenceurs : Il est crucial d’impliquer activement les personnalités publiques clés, y compris les responsables gouvernementaux, les artistes, les personnalités médiatiques et les éducateurs, en tant que « prescripteurs » ou influenceurs. Leur adoption des pagnes tissés traditionnels ivoiriens lors de leurs apparitions publiques encouragerait considérablement le port généralisé et renforcerait la valeur perçue du pagne.
- Visibilité Numérique : L’exploitation d’Internet et des plateformes de médias sociaux (par exemple, Twitter, Facebook, LinkedIn) pour créer des sites web dédiés et des canaux de médias sociaux professionnels est primordiale. Ces plateformes communiqueraient de manière exhaustive sur le secteur du tissage, présenteraient les produits par le biais d’images et de vidéos de haute qualité, et faciliteraient les partenariats mondiaux, élargissant ainsi et diversifiant la clientèle au-delà des frontières physiques.
- Supports de Communication Diversifiés : L’utilisation d’une variété de supports de communication, tels que les affiches publiques, les manuels scolaires, les habillages publicitaires de véhicules et les brochures commerciales, est nécessaire pour diffuser des informations sur le patrimoine textile du pays. Les panneaux d’affichage publics pourraient présenter des publicités avec des influenceurs portant des pagnes traditionnels, tandis que les manuels scolaires pourraient afficher des images et des textes promouvant le patrimoine vestimentaire ivoirien, favorisant ainsi l’appréciation dès le plus jeune âge.
- Éducation des Consommateurs : Il est essentiel de se concentrer sur l’éducation des consommateurs concernant les valeurs intrinsèques du pagne, sa riche histoire, ses messages intégrés et ses codes culturels afin de contrer la perception qu’il n’est qu’un vêtement « villageois » et d’encourager son intégration dans la vie quotidienne.
Renforcement de la Production et de la Transmission
- Structuration du Secteur : La création d’un cadre national unifiant tous les tisserands et les parties prenantes est fondamentale. Cela permettrait de mieux défendre leurs intérêts, de discuter des problèmes communs et de mutualiser leurs forces, capacités et connaissances, conduisant à un enrichissement mutuel et à l’amélioration des pratiques de tissage, notamment en termes de qualité du fil, de teinture et de symbolisme des motifs.
- Soutien à la Qualité et à l’Authenticité : Les efforts pour maintenir et améliorer la qualité des pagnes, notamment par des formations sur la fixation des teintures pour assurer l’éclat et empêcher la décoloration , doivent être poursuivis. La protection par l’Indication Géographique Protégée (IGP) doit être pleinement mise en œuvre pour que ses retombées économiques soient directement ressenties par les producteurs, leur permettant de concurrencer les contrefaçons.
- Transmission des Savoir-Faire : Des programmes de mentorat et des ateliers pratiques devraient être mis en place pour encourager les jeunes générations à s’engager dans l’art du tissage. Il est nécessaire de rendre le métier de tisserand économiquement attractif pour contrer l’exode rural et la désaffection des jeunes, assurant ainsi la pérennité de cette transmission ancestrale.
- Valorisation des Rôles de Genre : Bien que le tissage soit traditionnellement masculin, la reconnaissance et la promotion des rôles complémentaires des femmes dans la préparation du coton et la teinture sont cruciales pour une approche holistique de la préservation du savoir-faire.
En adoptant ces recommandations, la Côte d’Ivoire peut non seulement préserver un patrimoine culturel inestimable, mais aussi transformer le pagne Baoulé en un moteur de développement économique et social durable pour ses communautés.




