DOSSIERS
Étude Approfondie sur les Funérailles et la Mort en Pays Baoulé de Côte d’Ivoire

Introduction: Le Peuple Baoulé et la Mort – Contexte Culturel et Anthropologique
Le peuple Baoulé, composante majeure du groupe Akan, est principalement établi au centre de la Côte d’Ivoire, regroupant environ trois millions d’individus. Leur histoire est intrinsèquement liée à la figure emblématique de la Reine Abla Pokou, qui a guidé le clan royal baoulé au XVIIe siècle. Historiquement, la société Baoulé se distinguait par son caractère égalitaire, où chaque village fonctionnait de manière autonome sous l’autorité d’un conseil des anciens, et où même les esclaves participaient aux « palabres » (discussions communautaires). Leur organisation politique est notablement matriarcale, conférant un statut sacré aux droits des femmes. La mobilité historique des Baoulé a favorisé l’intégration et l’adaptation de diverses pratiques culturelles, comme en témoigne l’adoption de la danse Goli des Gouro et Wan après 1900.
Dans ce cadre culturel riche, les funérailles occupent une place centrale et multifacette. Elles ne sont pas de simples événements de deuil, mais des manifestations sociales d’une importance capitale, profondément imbriquées dans les croyances spirituelles et les expressions artistiques du peuple. Ces cérémonies sont perçues comme des « temps forts » qui mobilisent et unissent l’ensemble de la société, agissant comme un puissant catalyseur de cohésion sociale. Au-delà de leur fonction sociale, les funérailles revêtent une dimension religieuse primordiale, marquant le passage du défunt vers le pays des ancêtres et l’ouverture des portes du « village des morts ». Elles offrent également une plateforme pour l’affirmation du statut social, où la capacité à organiser des obsèques somptueuses et à faire des dépenses importantes devient une démonstration des forces et de l’influence des individus et des groupes au sein de la communauté.
Le caractère structurant et cohésif des funérailles est manifeste dans leur capacité à rassembler la communauté et à renforcer les liens sociaux. Ces cérémonies, bien plus que de simples rituels de passage, sont des mécanismes essentiels pour la reproduction sociale et la réaffirmation des valeurs collectives. Elles soulignent que l’élaboration et la participation communautaire aux funérailles ne visent pas uniquement à honorer le défunt, mais contribuent fondamentalement à maintenir l’ordre social et à transmettre le patrimoine culturel.
Par ailleurs, l’interdépendance entre les aspects matériel, social et spirituel est un trait distinctif des funérailles Baoulé. L’art baoulé est indissociable des croyances spirituelles, et la valeur rituelle et sacrée des objets prime sur leur esthétique matérielle. Cette perspective indique que les croyances spirituelles ne sont pas des concepts abstraits, mais qu’elles se manifestent concrètement à travers des pratiques sociales tangibles et des démonstrations économiques. La valeur symbolique d’un rite est ainsi exprimée et renforcée par l’investissement matériel et financier. Ce phénomène révèle une vision holistique où le domaine spirituel influence directement et est influencé par les réalités sociales et économiques de la communauté, faisant des funérailles un point de convergence pour ces différentes dimensions de l’existence.
I. Cosmologie Baoulé et la Conception de la Mort
La compréhension des funérailles Baoulé est indissociable de leur riche cosmologie, qui structure leur perception de la vie, de la mort et de l’au-delà. Cette vision du monde repose sur un ensemble de croyances fondamentales et une conception spécifique de l’âme et de son devenir.
Croyances Fondamentales
Au cœur de la spiritualité Baoulé se trouve la croyance en un dieu créateur suprême, Nyamien, qui est perçu comme intangible et inaccessible. Nyamien représente l’ordre universel, mais son influence directe sur les affaires humaines est limitée par sa nature lointaine. En contraste, Assiè, le dieu de la terre, joue un rôle plus immédiat et tangible, contrôlant les hommes et les animaux. Assiè est également vénéré comme une divinité chtonienne, profondément liée à la terre elle-même.
Outre ces divinités majeures, les Baoulé reconnaissent l’existence des Amuen, des esprits dotés de pouvoirs surnaturels. Ces Amuen ne sont pas statiques ; ils requièrent des sacrifices réguliers pour maintenir et réactiver leurs puissances, soulignant la nature interactive de la spiritualité Baoulé. La religion Baoulé est fondamentalement ancrée dans la reconnaissance de la mort et de l’immortalité de l’âme, un précepte central qui façonne l’ensemble de leurs pratiques funéraires.
Le Concept de l’Âme et l’Au-delà (Blôlô)
Le monde Baoulé est conceptualisé en deux réalités distinctes mais interconnectées : le monde réel (terrestre) et le monde spirituel, connu sous le nom de blôlô. Le
blôlô est le domaine des êtres supranaturels et, de manière cruciale, le lieu de résidence des âmes des ancêtres. La cosmologie Baoulé postule que les âmes proviennent du
blôlô à la naissance et y retournent après la mort, établissant un cycle continu d’existence.
Une particularité de cette croyance est l’existence d’un « répondant » ou « double » spirituel pour chaque individu dans le blôlô, désigné comme blôlô bla (pour une femme) ou blôlô bian (pour un homme). Des statues sont consacrées à ces conjoints mystiques, et des offrandes leur sont faites pour les apaiser. En effet, ces entités spirituelles peuvent manifester leur jalousie envers les partenaires terrestres, entraînant des malheurs tels que la stérilité, des décès d’enfants en bas âge, des maladies, des accidents ou de mauvaises récoltes. Cette interaction directe souligne la nature pragmatique de la spiritualité Baoulé, où les forces invisibles peuvent avoir des répercussions tangibles sur la vie quotidienne.
L’Immortalité de l’Âme et la Notion de Renaissance/Réincarnation
La croyance en l’immortalité de l’âme est la pierre angulaire de la conception Baoulé de la survie après la mort et du concept d’ancêtre. La mort n’est pas perçue comme une fin absolue, mais comme une transition essentielle. Le défunt, en renaissant dans l’au-delà en tant qu’esprit d’ancêtre, réintègre les générations terrestres dans un cycle dynamique de réincarnation et de procréation. Cette perspective permet d’atténuer la douleur associée à la perte, en « humanisant » la mort et en aidant les vivants à appréhender leur propre mortalité avec moins d’angoisse. La toilette mortuaire, par exemple, est un rituel crucial qui prépare le défunt à cette renaissance dans l’au-delà, le restituant symboliquement à la terre-mère. Dans cette vision, les morts continuent d’exister et de perpétuer l’organisation et la vie de la société, mais dans le monde invisible.
Les ancêtres occupent une place vénérée dans la cosmologie Baoulé, faisant l’objet d’un culte profond bien qu’ils ne soient pas représentés physiquement. Ils sont considérés comme des médiateurs essentiels entre les vivants et les entités créatrices. Des sacrifices et des libations leur sont offerts, notamment lors de fêtes importantes comme celles des ignames, où ils reçoivent les prémices des récoltes. Cette vénération n’est pas unilatérale ; les ancêtres sont perçus comme des gardiens de l’ordre social et moral, ayant le pouvoir de punir les descendants en cas de fautes graves et de les récompenser par des bénédictions. La vénération des ancêtres est même considérée comme une étape nécessaire dans la quête spirituelle, menant à la découverte de divinités supérieures.
La circularité de la vie et de la mort est une caractéristique fondamentale de la cosmologie Baoulé. Le blôlô est à la fois le point d’origine des âmes à la naissance et leur destination après la mort. Cette conception cyclique, où les ancêtres peuvent se réintégrer aux générations terrestres par la réincarnation et la procréation , révèle une continuité de l’existence plutôt qu’une fin linéaire. Cette perspective atténue le sentiment de perte, transformant la mort en une phase de transition au sein d’un cycle ininterrompu de vie et de renaissance. Cette vision du monde explique pourquoi l’idée de la mort est souvent abordée par des euphémismes, car elle n’est pas une cessation définitive, mais une transformation.
La spiritualité Baoulé se distingue également par sa dimension éminemment pragmatique et interactive. Alors que Nyamien est lointain, Assiè et les Amuen sont des entités avec lesquelles les humains interagissent activement. Les Amuen nécessitent des sacrifices pour maintenir leurs pouvoirs, et les ancêtres interviennent directement dans la vie des vivants par des punitions ou des récompenses. Les pratiques rituelles, comme les offrandes aux conjoints mystiques du
blôlô pour éviter le malheur , illustrent cette interaction constante. Cette approche fonctionnelle de la spiritualité vise à maintenir l’harmonie et le bien-être dans le monde visible en apaisant et en mobilisant les forces du monde invisible. Cela justifie la précision des rituels et des offrandes, perçus comme des communications directes avec des entités puissantes pour assurer des résultats favorables dans la vie quotidienne.
Enfin, la mort agit comme un catalyseur puissant, renforçant la relation entre les mondes visible et invisible. Le corps du défunt est considéré comme un « lien entre la vie terrestre et la vie astrale » , et le langage funéraire communique sur le destin ultime du défunt et de l’univers. La mort n’est pas une rupture, mais une transition cruciale qui confère au défunt son nouveau statut d’ancêtre, consolidant ainsi la connexion entre les vivants et le royaume spirituel. Les rituels funéraires sont donc essentiels pour assurer que cette connexion soit établie et maintenue correctement, garantissant l’équilibre cosmique et social.
Table 1: Composantes de la Cosmologie Baoulé et leur Lien avec la Mort
II. Les Rituels Funéraires Baoulé : Étapes et Symbolisme
Les funérailles Baoulé sont un ensemble complexe de rituels qui accompagnent le défunt de l’annonce du décès à son passage dans le monde des ancêtres. Chaque étape est chargée de symbolisme et de significations profondes, reflétant la cosmologie du peuple.
A. L’Annonce du Décès et les Rituels Immédiats
L’annonce d’un décès en pays Baoulé est un événement formalisé, orchestré par un « annonceur du deuil » qui s’adresse à une assemblée en pleurs et compatissante. Le protocole d’expression des condoléances est précis et différencié selon le genre du défunt : les formules sont répétées deux fois pour les hommes (« nɉà jákò nɉà jákò ō jͻͻ ») et une seule fois pour les femmes (« mmò jákò ō jͻͻ »). Cette distinction souligne l’importance du genre dans les interactions sociales et rituelles.
Pour les personnalités importantes, telles que les rois ou les chefs, l’annonce du décès prend une dimension protocolaire élargie, impliquant des délégations officielles. Le Président de la République, des chefs traditionnels et des dignitaires viennent présenter leurs condoléances et offrir des dons substantiels, incluant des pagnes traditionnels, des liqueurs, du riz et d’importantes sommes d’argent. Ces contributions ne sont pas seulement des marques de sympathie, mais aussi des démonstrations de pouvoir et d’alliances, transformant l’événement en une manifestation publique et politique.
Le langage funéraire Baoulé est particulièrement riche et complexe, qualifié de « bipolaire » car il s’adresse simultanément au monde des vivants et au monde invisible. Il emploie fréquemment des métaphores et des euphémismes pour désigner le défunt, comme l’expression « Le gros arbre s’est couché » (
wákà dá̰’ ń būlì). Cette utilisation de la langue reflète une forme de non-acceptation directe de la mort, en accord avec la croyance en l’immortalité de l’âme et la continuité de l’existence. Le discours funéraire vise à mobiliser la compassion de l’assemblée et à exprimer la profondeur de la douleur, tout en s’efforçant de transcender le simple chagrin pour capter l’attention sur le déroulement des événements rituels.
La formalisation de la douleur et l’intégration sociale du deuil sont des aspects cruciaux de cette première phase. Les formules linguistiques spécifiques et les distinctions de genre dans les condoléances témoignent d’une approche hautement ritualisée de l’expression du chagrin. Cette ritualisation permet de canaliser les émotions brutes dans des formes socialement acceptables et d’initier immédiatement le défunt dans le royaume ancestral, contribuant ainsi au maintien de l’ordre social et à l’établissement d’un cadre collectif pour le deuil. Les euphémismes employés manifestent une résistance culturelle à la finalité de la mort, en harmonie avec la croyance en la survie de l’âme.
La dimension politique et économique de l’annonce du décès, particulièrement pour les notables, est également frappante. La présence de hauts dignitaires et les dons substantiels transforment un événement familial en une affaire publique et étatique. Cela met en lumière la manière dont les pratiques funéraires traditionnelles peuvent être utilisées pour renforcer les liens politiques, afficher le pouvoir et l’influence, et mobiliser des ressources, révélant ainsi les structures d’alliance et de pouvoir au sein de la société.
B. La Préparation du Corps du Défunt
La préparation du corps du défunt est un rite ancien et persistant chez les Baoulé, empreint d’une profonde sacralité. Le corps est transporté dans un lieu spécifique et discret, le
klaganou, où la toilette mortuaire est effectuée à l’abri des regards. Ce rituel est exclusivement confié à des femmes âgées de la lignée, considérées comme dépositaires des pouvoirs ancestraux, soulignant leur rôle essentiel dans la transmission des savoirs et la gestion des rites de passage.
La toilette est réalisée avec une grande précision : les femmes utilisent leur main gauche pour nettoyer le corps, commençant par le dos et terminant par le devant. Le nombre de répétitions du lavage diffère selon le sexe du défunt : trois fois pour un homme et quatre fois pour une femme. Cette différenciation numérique est souvent significative dans les cultures africaines, marquant des distinctions symboliques. L’eau utilisée pour la toilette est ensuite enterrée sur place, un geste qui renforce le lien entre le défunt et la terre.
Après la purification du corps, le défunt est habillé d’un alakoun, un simple cache-sexe, et ne porte aucune autre parure. Ce choix vestimentaire minimaliste est hautement symbolique : il est interprété comme permettant au défunt de changer de sexe lors de sa renaissance dans le pays des ancêtres. Cette absence de différenciation vestimentaire terrestre suggère une fluidité identitaire dans l’au-delà, où les contraintes de genre du monde des vivants sont transcendées.
Bien que les sources ne détaillent pas les prières ou incantations spécifiques prononcées pendant la toilette funéraire, le langage funéraire Baoulé est un « langage en acte fort particulier ». La musique est utilisée pour invoquer les ancêtres , et le vin de palme est versé en libations pour établir un lien avec les mânes. La sorcellerie, perçue comme une force cosmique capable de créer ou de détruire la vie , peut également impliquer des incantations de protection ou d’apaisement durant ces moments.
La sacralité du corps et la ritualisation de la transition sont des aspects prédominants de cette étape. Le klaganou, l’implication des femmes âgées détentrices de pouvoirs ancestraux, et les techniques de lavage précises soulignent la profonde sacralité du corps du défunt et la nature méticuleuse des rites de transition. Ces actions ne sont pas de simples gestes d’hygiène, mais des purifications sacrées visant à préparer le corps pour le voyage de l’âme, le considérant comme un vaisseau pour l’existence continue de l’âme et sa connexion à la terre.
Le symbolisme de l’alakoun est particulièrement révélateur de la flexibilité identitaire post-mortem. Le fait que ce simple vêtement permette au défunt de « changer de sexe » dans l’au-delà suggère une compréhension sophistiquée de l’existence après la mort, où les identités terrestres peuvent être transcendantes. Cela offre une vision de l’au-delà qui n’est pas une simple continuation, mais une évolution ou une libération du soi, permettant une influence ancestrale plus large et moins contrainte par les catégories terrestres.
C. La Veillée Funèbre
La veillée funèbre en pays Baoulé est une manifestation sociale et rituelle d’une grande intensité, caractérisée par d’importantes performances musicales, dansées et chantées. Ces veillées peuvent s’étendre sur une période de sept jours , ce qui souligne leur importance et leur rôle central dans le processus de deuil collectif. La musique y joue un rôle de « moteur », rassemblant la société et agissant comme une « presse poétisée de l’Afrique traditionnelle », affirmant ainsi son rôle crucial dans la cohésion sociale et la transmission culturelle.
Les chants et danses spécifiques à la veillée funèbre sont variés et porteurs de significations profondes :
- Lamentations funèbres: Ces expressions chantées sont souvent improvisées et caractérisées par leur nature « lacrymale », mêlant souffrance et éloge du défunt. Leur fonction est d’atténuer la douleur des endeuillés et de consoler le mort, signalant le deuil à l’ensemble du village par leur retentissement.
- Noolo (danse funèbre): Le noolo est une expression chantée, plus « vive » que les lamentations, également improvisée et exécutée en hommage au défunt. Il est notable que le
noolo ne doit jamais être commencé en plein jour , ce qui suggère une dimension sacrée ou nocturne du rituel. Il peut être pratiqué dès le premier jour des funérailles ou lors des veillées.
Goli: Ce masque-heaume, en forme de tête de buffle et d’origine Gouro ou Wan, est exhibé lors des grandes occasions et des funérailles de personnages importants. Le Goli est considéré comme une divinité protectrice et fait partie des
Amuen. Bien qu’il soit devenu un spectacle de divertissement, sa sacralité est maintenue par des offrandes (poulet, liqueur) avant chaque prestation, illustrant l’adaptation des traditions.
- Bonu Amuen: Ce masque sacré, réservé aux hommes, représente un animal menaçant. Il est dansé en période de crise pour protéger le village et lors des funérailles d’hommes de haut rang. Cette danse est censée aider le défunt à se transformer en esprit protecteur pour les générations futures.
- Autres danses: Le gba gba, d’origine Gouro, est spécifiquement exécuté lors des funérailles de femmes durant la période des récoltes, célébrant la beauté et l’âge. L’
Abodan, une danse de réjouissance du grand groupe Akan (dont les Baoulé), est caractérisée par des gestes spécifiques qui reflètent la position sociale du danseur.
- Tambours parleurs: Des instruments tels que l’Attoumgblan ou Klin Kpli sont employés pour la musique sacrée lors d’événements majeurs, y compris les funérailles de chefs. Les textes produits par ces tambours sont proches de la langue Baoulé et sont considérés comme une « troisième forme de langage », soulignant leur rôle dans la communication complexe et symbolique.
Le symbolisme des chants et danses est profond. Ces expressions artistiques sont des « espaces potentiels » qui favorisent l’émergence de significations uniques tout en maintenant un lien fort avec le groupe et l’éthos partagé. Elles révèlent une connexion intime entre l’art musical et poétique. Les lamentations et le
noolo sont des hommages rituels qui expriment à la fois la douleur et l’éloge du défunt. La danse du
Bonu Amuen est particulièrement significative, car elle est censée faciliter la transformation du défunt en un esprit protecteur, illustrant la fonction transformatrice du rituel. Le vin de palme, symbole de vie, est utilisé pour des libations afin d’honorer l’esprit du défunt, renforçant ainsi le lien entre les vivants et les morts.
Les tenues vestimentaires portées lors des veillées funèbres sont également chargées de symbolisme. Le port de pagnes aux couleurs sombres, notamment le noir, est obligatoire pour exprimer la tristesse et la compassion. Le noir peut également signifier une douleur inconsolable face à la perte d’une autorité. Le pagne rouge, porté le samedi, symbolise les larmes incessantes, indiquant une expression codifiée de la douleur. Ces pagnes peuvent être portés même après l’enterrement pour prolonger le souvenir du défunt. Les bracelets portés au poignet ont aussi une signification particulière, ajoutant une autre dimension au symbolisme corporel du deuil.
La veillée funèbre se présente comme une théâtralisation collective du deuil et de la transition. Sa durée prolongée et l’intégration de performances musicales, dansées et chantées en font un événement hautement performatif. Il s’agit d’une participation active et collective au processus de deuil, de remémoration et de transition spirituelle. L’utilisation de masques et de tambours parleurs accentue cette dimension théâtrale, où la communauté contribue activement à guider l’âme du défunt. Cette performance collective est une catharsis qui permet le traitement du chagrin et l’intégration du défunt dans le statut d’ancêtre. L’intégration de diverses formes d’art renforce les liens sociaux et les croyances partagées face à la mortalité, transformant la perte individuelle en une expérience collective.
Le rôle des masques et de la musique en tant que médiateurs entre les mondes est fondamental. Le masque Bonu Amuen aide les défunts à devenir des esprits protecteurs , tandis que les tambours parleurs agissent comme un « troisième langage ». Ces éléments ne sont pas de simples divertissements, mais des outils rituels qui facilitent la communication et l’interaction entre le monde des vivants et le royaume spirituel. Ils permettent de guider l’âme du défunt, d’invoquer les ancêtres et d’assurer la protection de la communauté, soulignant la perméabilité entre les deux mondes dans la cosmologie Baoulé.
D. L’Inhumation
L’inhumation en pays Baoulé est une étape cruciale du processus funéraire, marquant le retour du corps à la terre et le début du voyage de l’âme vers le blôlô.
Le lieu de sépulture traditionnel est souvent la forêt ou la brousse, considérée comme un espace sacré qui accueillera le corps du défunt. La terre est perçue non seulement comme un bien coutumier, mais aussi comme le sanctuaire des dieux et des esprits de la terre. Une relation particulière existe entre la localité de Djebonoua (en pays Baoulé) et le monde des divinités terrestres, garantissant l’harmonie entre les morts et les vivants. La terre ne doit faire l’objet d’aucune souillure, en particulier celle liée au sang d’un membre de la communauté.
Des objets et des provisions sont enterrés avec le défunt pour son voyage dans l’au-delà. Ces provisions, qui incluent des boissons et de la nourriture, sont fréquemment renouvelées sur la tombe. Ce geste symbolise le soutien continu des vivants au défunt dans son parcours spirituel, assurant qu’il ne manque de rien dans le monde invisible.
Les rituels d’accompagnement du corps sont essentiels. Dans certaines cérémonies, des hommes masqués encerclent le corps et parlent au défunt pour l’apaiser, puis posent un tambour sur lui, frappé en même temps qu’ils agitent des grelots. Ces gestes visent à expulser le « pil » (le souffle du mort, chez les Sénoufos, peuple Akan voisin). Lors des funérailles de notables, le cortège funèbre est souvent accompagné par des fanfares et des groupes de danse traditionnels, comme le Goli, qui assurent l’accueil et l’accompagnement du véhicule mortuaire jusqu’au lieu d’inhumation. Le silence des tambours et des flûtes marque le moment de l’inhumation, soulignant la solennité du passage.
La terre comme seuil sacré et l’inhumation comme un acte de réintégration sont des concepts fondamentaux. L’inhumation dans la forêt ou la brousse, perçue comme un lieu sacré et le domaine des esprits de la terre, transforme le lieu de repos final en un point de connexion vital entre les vivants et le royaume des ancêtres. L’acte d’inhumer le corps dans la terre sacrée est une réintégration symbolique du défunt dans le cycle de la vie et de la mort, où la terre-mère joue un rôle nourricier et transformateur. Cela renforce l’idée que la mort n’est pas une séparation définitive, mais une transformation qui maintient le défunt au sein de la communauté cosmique.
Les provisions matérielles pour le voyage spirituel du défunt soulignent une vision du monde où le matériel soutient le spirituel. L’acte d’enterrer des objets et des provisions avec le corps, et de les renouveler régulièrement, démontre une croyance concrète en la continuité de l’existence dans l’au-delà et en la nécessité de pourvoir aux besoins du défunt dans son nouveau statut. Cela met en évidence la conviction que les ancêtres continuent d’interagir avec le monde des vivants et que leur bien-être dans le
blôlô est lié aux actions des vivants. Ce soutien matériel est une manifestation tangible de la relation continue et réciproque entre les deux mondes.
Table 2: Étapes Clés des Rituels Funéraires Baoulé
Table 3: Symbolisme des Objets et Actions dans les Funérailles Baoulé
III. Cérémonies Post-Enterrement et la Levée de Deuil
Le processus funéraire Baoulé ne s’achève pas avec l’inhumation ; il se prolonge par une série de cérémonies post-enterrement, dont la levée de deuil est une étape fondamentale. Ces rituels sont essentiels pour la réintégration des endeuillés dans la vie sociale et pour la consolidation du statut du défunt dans le monde des ancêtres.
La Période de Deuil et les Rituels de Purification
La durée de la période de deuil varie selon le sexe et le statut matrimonial du défunt. Pour une femme mariée, la levée de deuil intervient six mois après le décès. Si le défunt est un homme, une période de veuvage d’un an est observée. Le jour marquant la fin de cette période, tous les habitants de la maison du défunt observent un jeûne, un acte de commémoration et de recueillement.
Le lendemain du jeûne, des rituels de purification sont entrepris pour les endeuillés, en particulier pour le conjoint survivant. La famille maternelle du défunt, accompagnée de ses sœurs, conduit la veuve à une bananeraie. Là, elle reçoit des décoctions qu’elle utilise pour se laver. Par la suite, le frère du défunt rase les cheveux de la veuve. Ces gestes symbolisent une rupture avec l’état de deuil et une purification physique et spirituelle. Des cérémonies spécifiques se déroulent ensuite dans une rivière désignée. Pendant ce temps, des femmes préparent un grand repas à la maison, rappelant celui des funérailles initiales.
Après cette étape, la veuve attend trois ou quatre jours avant de se rendre à une autre rivière pour une purification supplémentaire, également accompagnée d’un rituel. Elle revient ensuite avec de l’eau dans un seau, qu’elle utilise pour asperger le quartier de son défunt mari et l’intérieur de sa maison. Cette aspersion est un acte de nettoyage symbolique de l’espace de vie. Enfin, la veuve est soumise à un interrogatoire où sa fidélité envers son mari de son vivant peut être questionnée. Dissimuler la vérité est réputé entraîner un mauvais sort. Une fois cette étape franchie, la veuve est considérée comme libre de se remarier.
Le processus de deuil prolongé et les rituels de purification sont essentiels pour la réintégration sociale et spirituelle des endeuillés. La durée spécifique du deuil et les rituels de lavage et de rasage des cheveux marquent une transition progressive de l’état de deuil à un retour à la normalité sociale. Ces rituels ne sont pas de simples formalités ; ils sont des mécanismes culturels qui aident les individus à surmonter la douleur de la perte et à se purifier des influences de la mort, leur permettant de reprendre leur place au sein de la communauté. L’interrogatoire de la veuve, bien que potentiellement intrusif, souligne l’importance de l’ordre moral et du respect des engagements conjugaux, même après la mort, pour assurer l’harmonie du groupe.
Les « Deuxièmes Funérailles » : Signification et Rôle Social
En plus de la levée de deuil pour les proches, les Baoulé, comme d’autres peuples Akan, pratiquent des « deuxièmes funérailles », également appelées « grandes funérailles ». Ces cérémonies se distinguent des « petites funérailles » (qui incluent l’inhumation initiale et les rites de purification immédiats) par leur ampleur et leur faste. Elles peuvent avoir lieu des mois, voire des années après le décès et l’inhumation initiale, et sont l’occasion de dépenses considérables.
Les deuxièmes funérailles sont un moment social d’une grande intensité, où les chefferies villageoises affirmaient traditionnellement leur puissance. Cependant, avec la modernité, ce monopole du faste a été progressivement repris par la bourgeoisie d’État. Néanmoins, à tous les niveaux de l’échelle sociale, la participation à ces rituels funéraires ostentatoires demeure une « passion collective » à laquelle personne ne peut échapper. L’objectif principal de ces cérémonies est de démontrer la capacité à dépenser : plus les cadeaux sont nombreux et somptueux, plus le rang social des donateurs est reconnu. Cela transforme les funérailles en une forme de joute où individus et groupes rivalisent dans la destruction des richesses pour affirmer leur statut et leur identité sociale. Ne pas participer ou ne pas dépenser suffisamment expose à la perte du droit de parole et à l’exclusion sociale, étant perçu comme une incapacité plutôt qu’un refus. L’enjeu est à la fois métaphysique (être enterré « comme un chien » sans faste) et social (reconnaissance de son existence sociale). Le coût de ces cérémonies a considérablement augmenté au fil des décennies, notamment sous l’impulsion des « grands » qui ont provoqué une surenchère.
Les deuxièmes funérailles sont un mécanisme d’affirmation du statut social et de la mémoire du défunt. Leur organisation différée et leur caractère ostentatoire permettent de réaffirmer la position sociale du défunt et de sa famille, souvent des années après le décès initial. Ces cérémonies sont une occasion pour la communauté de réactiver les liens sociaux et de réaffirmer les hiérarchies. La compétition dans les dépenses, bien qu’économiquement lourde, agit comme une forme de monnaie sociale, où la capacité à donner et à organiser un événement grandiose légitime le statut et l’influence. Cette dynamique révèle comment les traditions funéraires sont des vecteurs puissants de la structure sociale et des relations de pouvoir au sein de la société Baoulé.
IV. Organisation Sociale et Économique des Funérailles
L’organisation des funérailles en pays Baoulé est une entreprise collective qui mobilise l’ensemble de la communauté, des dignitaires aux familles, et implique des dimensions économiques significatives.
Rôles des Dignitaires, Chefs de Village, Famille et Communauté Élargie
Les funérailles sont des événements qui nécessitent une coordination étendue et l’implication de divers acteurs sociaux. Les dignitaires, tels que les chefs de canton, les chefs de village, les élus et les cadres, jouent un rôle prépondérant, notamment lors des décès de personnalités importantes. Ils forment des délégations pour présenter les condoléances et témoigner leur solidarité à la famille royale ou au peuple Baoulé dans son ensemble. La présence de ces figures d’autorité renforce la solennité de l’événement et souligne son importance sociopolitique. Les aînés, y compris les anciens dignitaires et les chefs traditionnels, sont également des acteurs clés, leur statut social et familial étant fonction de leur participation à ces événements.
La famille élargie est au centre de l’organisation. Dans le système matrilinéaire des Baoulé-Agba, la famille maternelle joue un rôle crucial, par exemple dans l’information du décès ou la conduite des rituels de purification. Les femmes âgées, en particulier celles qui sont ménopausées, sont culturellement désignées pour des rôles rituels spécifiques, comme la toilette mortuaire, et sont considérées comme des « grandes mères » et des arbitres dans la société traditionnelle. Les « générationnelles » (jeunes femmes ayant déjà subi un rite de passage) et les « cadettes sociales » (futures initiées) accompagnent également les rituels, assurant la continuité des traditions.
L’ensemble de la communauté villageoise est impliqué, car les funérailles sont un événement qui appelle et réunit tous ses membres. La participation est une obligation sociale, et l’absence ou l’insuffisance de contribution peut entraîner une exclusion du groupe.
Contributions Communautaires et Financement des Obsèques
Les funérailles en pays Baoulé sont des événements coûteux, et leur financement repose largement sur des contributions communautaires et familiales. Le coût des obsèques peut varier considérablement, mais il est souvent élevé, surtout pour les notables. Les dons du Président de la République, des rois et chefs traditionnels, des chefs religieux, et des populations peuvent inclure des pagnes, du riz, de la liqueur et des sommes d’argent substantielles (par exemple, des millions de francs CFA). Ces contributions sont essentielles pour couvrir les dépenses liées à l’organisation des cérémonies, qui incluent la nourriture, les boissons, les danses et les pleureuses.
La notion de « contribution à l’amélioration de la résilience économique des communautés » est mentionnée dans le contexte des décès , suggérant que ces dépenses, bien que lourdes, sont intégrées dans une dynamique économique et sociale plus large. Les funérailles sont des occasions de « détruire les richesses » pour démontrer le statut social, ce qui peut entraîner une surenchère des coûts.
Le vin de palme revêt une importance particulière dans les rites funéraires Baoulé, au-delà de sa simple consommation. Il est un symbole de vie et joue un rôle sacré dans diverses cérémonies. Dans le contexte funéraire, le vin de palme est utilisé pour honorer l’esprit du défunt à travers des libations. Ces libations visent à établir un lien d’échange avec les mânes des ancêtres. Lors des décès accidentels impliquant un épanchement de sang, seul le vin de palme est offert à l’assistance, soulignant son rôle purificateur ou apaisant dans des circonstances particulières.
L’acte de libation, où le chef de terre verse le vin de palme en formulant des vœux aux esprits invoqués (le ciel et la terre), est un moment suprême de contact direct avec le monde invisible. Le silence qui accompagne cet acte est crucial, renforçant la solennité de la communication avec le divin.
La responsabilité communautaire et le financement des obsèques sont des piliers de l’organisation sociale Baoulé. La participation financière et matérielle de l’ensemble de la communauté aux funérailles d’un membre est une obligation sociale qui renforce la cohésion du groupe. Cette pratique assure que même les familles moins aisées peuvent organiser des obsèques dignes, car le fardeau est partagé. Le fait que l’insolvabilité puisse entraîner une exclusion sociale démontre que ces contributions sont un indicateur de l’appartenance et de l’engagement envers la communauté. Ce système de soutien mutuel est une manifestation tangible de la solidarité et de l’interdépendance au sein de la société Baoulé.
Le déploiement économique comme monnaie sociale est un aspect frappant des funérailles. Les dépenses ostentatoires et la compétition dans les dons ne sont pas de simples gaspillages, mais des investissements dans le capital social et symbolique. Elles permettent aux individus et aux familles d’affirmer ou de rehausser leur statut, de démontrer leur prestige et leur influence. Cette dynamique transforme les funérailles en un champ de performance sociale où la richesse est « détruite » pour générer du prestige, soulignant que la valeur n’est pas seulement dans l’accumulation, mais aussi dans la capacité à redistribuer et à afficher cette richesse de manière rituelle.
Table 4: Rôles Sociaux et Contributions dans l’Organisation des Funérailles
V. Impact de la Modernité et du Syncrétisme Religieux
Les traditions funéraires Baoulé, bien qu’ancrées dans des pratiques ancestrales, ne sont pas statiques. Elles subissent des transformations significatives sous l’influence de la modernité, de l’urbanisation et de la diffusion de nouvelles religions comme le christianisme et l’islam.
Influences du Christianisme et de l’Islam sur les Pratiques Funéraires
La Côte d’Ivoire, et le pays Baoulé en particulier, connaît une coexistence de religions traditionnelles africaines avec le christianisme et l’islam. Cela conduit souvent à des situations de « double appartenance religieuse ». Pour les Baoulé chrétiens, la célébration des funérailles pose la question de l’inculturation de la foi, c’est-à-dire l’intégration du message chrétien dans les pratiques culturelles locales. Cette inculturation est perçue comme une « dramadialogie », un dialogue dynamique où les éléments de la culture Baoulé qui ne sont pas en accord avec les valeurs chrétiennes sont censés « mourir » pour une « résurrection transfiguratrice », tandis que la culture Baoulé, en accueillant le christianisme, enrichit le patrimoine ecclésial.
Cependant, cette intégration n’est pas toujours simple. Par exemple, certains Baoulé modernisés et christianisés peuvent percevoir les rites funéraires traditionnels de réconciliation, souvent liés à la sorcellerie, comme démoniaques ou sources de conflit. Malgré cela, des communautés comme les Odjoukrou (un peuple de Côte d’Ivoire, mentionné dans le contexte de l’impact de la modernité) peuvent ne pas se sentir « intimement vivre les rites funéraires chrétiens » qui leur sont proposés, ce qui peut entraîner une réduction ou un abandon de certains rites traditionnels. Le syncrétisme religieux est une réalité, produit de cette longue évolution et interaction entre les systèmes de croyances.
L’urbanisation croissante a un impact notable sur les pratiques funéraires Baoulé. La vie en milieu urbain peut éloigner les individus de leurs villages d’origine, où les traditions sont le plus fortement ancrées. Cela peut rendre la pleine participation aux funérailles traditionnelles plus complexe, notamment en raison des coûts logistiques élevés associés au transport des corps ou à l’organisation de grandes cérémonies en ville.
La dynamique des rassemblements communautaires peut également changer. Alors que les fêtes traditionnelles comme Paquinou (fête de Pâques en pays Baoulé) étaient autrefois des affaires exclusivement Baoulé, elles attirent désormais des participants d’autres régions et même de l’étranger, et peuvent être célébrées en ville (comme à Abidjan). Cela peut diluer la spécificité culturelle de ces événements et potentiellement réduire la fréquentation des villages pendant ces périodes. Le décès de personnalités importantes peut également influencer le calendrier des festivités, comme le report d’un festival culturel en raison des obsèques d’un ancien président.
Le syncrétisme se manifeste par l’intégration d’éléments religieux différents dans les pratiques funéraires. Par exemple, lors des obsèques de personnalités, il est possible d’observer une combinaison de prières musulmanes, de messes catholiques et de traditions Baoulé, comme des danses de réjouissance avec masques. Cette coexistence de rituels de différentes confessions religieuses lors d’un même événement funéraire témoigne de la capacité d’adaptation et de l’ouverture des Baoulé aux influences extérieures.
Les chants funéraires eux-mêmes peuvent refléter ce syncrétisme. Des recueils de chants Baoulé et Agni (peuple Akan voisin) existent, et certains artistes intègrent des références chrétiennes dans leurs œuvres musicales traditionnelles. Par exemple, des chansons peuvent louer Jésus-Christ tout en utilisant des proverbes et des récits issus de la culture Baoulé.
La dynamique d’adaptation des traditions face aux influences externes est un processus continu. La « dramadialogie » entre le christianisme et les croyances Baoulé illustre comment les cultures ne sont pas statiques, mais évoluent par un processus d’échange et de réinterprétation. Les communautés Baoulé ajustent leurs pratiques pour concilier les exigences de leurs croyances ancestrales avec celles des religions importées, créant ainsi de nouvelles formes rituelles qui maintiennent une pertinence culturelle tout en intégrant des éléments modernes.
L’émergence de nouvelles formes d’expression culturelle est une conséquence directe de ces adaptations. La transformation des masques comme le Goli en spectacles de divertissement tout en conservant leur sacralité par des offrandes est un exemple de cette évolution. Les funérailles deviennent des espaces où les traditions sont réinterprétées et où de nouvelles expressions artistiques et rituelles voient le jour, reflétant la complexité et la vitalité de la culture Baoulé face à la mondialisation et aux changements sociétaux.
Conclusion: Continuité et Changement dans les Rites Funéraires Baoulé
L’étude approfondie des funérailles et de la mort en pays Baoulé de Côte d’Ivoire révèle un système complexe et dynamique, profondément enraciné dans une cosmologie où la vie et la mort sont interconnectées dans un cycle continu. La mort n’est pas perçue comme une fin absolue, mais comme une transition vers le blôlô, le monde des ancêtres, où l’âme immortelle du défunt continue d’exister et d’interagir avec les vivants. Cette vision, caractérisée par la circularité de l’existence et la fluidité identitaire post-mortem, est fondamentale pour comprendre la richesse et la précision des rituels.
Les funérailles Baoulé sont des événements sociaux majeurs, des « temps forts » qui renforcent la cohésion communautaire et réaffirment les hiérarchies sociales. Chaque étape, de l’annonce du décès à la levée de deuil et aux « deuxièmes funérailles », est méticuleusement ritualisée. Le langage funéraire, les pratiques de toilette du corps, l’habillement symbolique (l’alakoun), les chants et les danses (lamentations, noolo, masques Goli et Bonu Amuen), ainsi que l’utilisation des tambours parleurs, sont autant d’expressions d’une culture qui formalise la douleur tout en facilitant la transition spirituelle du défunt. La terre, en tant que seuil sacré, et les provisions matérielles accompagnant le défunt, soulignent une relation continue et réciproque entre les mondes visible et invisible.
L’organisation de ces cérémonies est une affaire collective, impliquant dignitaires, chefs, famille élargie et l’ensemble de la communauté, tous contribuant financièrement et matériellement. Les dépenses, souvent ostentatoires, ne sont pas de simples coûts, mais une forme de « monnaie sociale » qui permet d’affirmer le statut et le prestige des individus et des groupes. Le vin de palme, omniprésent, symbolise la vie et sert de lien sacré avec les ancêtres.
Cependant, les traditions funéraires Baoulé ne sont pas figées. Elles sont soumises à l’influence croissante de la modernité, de l’urbanisation et des religions monothéistes comme le christianisme et l’islam. Le syncrétisme religieux, la « double appartenance » et les adaptations des rituels témoignent de la capacité de cette culture à évoluer et à intégrer de nouveaux éléments tout en préservant son essence. L’urbanisation, bien qu’elle puisse éloigner certains individus des pratiques villageoises, favorise également l’émergence de nouvelles formes d’expression culturelle et d’événements funéraires hybrides.
En somme, les funérailles Baoulé sont un miroir des dynamiques sociales, économiques et spirituelles de ce peuple. Elles illustrent la résilience et l’adaptabilité d’une culture qui, face aux changements, continue de donner un sens profond à la mort, en la transformant en une célébration de la vie, de la lignée et de la communauté.




