Histoire
L’Histoire du Peuple Baoulé de Côte d’Ivoire : Origines, Migration, Établissement et Organisation Sociopolitique
1. Introduction
Le peuple Baoulé constitue un groupe ethnique majeur en Côte d’Ivoire, dont la grande majorité réside dans les régions centrales du pays, notamment autour des villes de Bouaké et de Yamoussoukro. Faisant partie du vaste groupe Akan, qui représentait 38,0 % de la population ivoirienne en 2021, les Baoulé tirent leurs origines du royaume Ashanti, situé dans l’actuel Ghana.
Ce rapport a pour objectif de retracer la trajectoire historique de ce peuple, depuis ses racines au Ghana et les motifs de son départ, en passant par sa migration éprouvante et son établissement en Côte d’Ivoire. Il explorera également les complexités de son organisation politique, le rôle de ses rois et reines, la diversité de ses tribus, ainsi que ses interactions avec les peuples voisins et les puissances coloniales. Une analyse approfondie des données disponibles permettra de mettre en lumière les dynamiques qui ont façonné l’identité et la société baoulé au fil des siècles.
2. Les Origines Ashanti et le Contexte du Départ
L’histoire du peuple Baoulé est intrinsèquement liée à celle du puissant royaume Ashanti (Asante), berceau des civilisations Akan.
Le Royaume Ashanti (Asanteman)
Le royaume Ashanti, une civilisation Akan influente, a vu le jour au début du XVIIIe siècle, précisément en 1701, dans la région de la basse vallée de la Volta, sur le territoire de l’actuel Ghana. Sa fondation est attribuée à Osei Tutu, soutenu par son fidèle conseiller, le prêtre Okomfu Anokye. Cette entité politique est née de victoires décisives contre les Denkyra lors des batailles d’Edunku en 1699 et de Feyase en 1701, entraînant l’unification de diverses chefferies Asante sous l’égide de Kumase, qui devint la capitale. Les peuples Akan, incluant les Ashanti et les Baoulé, partageaient un territoire homogène, une organisation politique et sociale commune, ainsi qu’une langue transversale, le twi, bien que chaque groupe ait développé sa propre langue spécifique.
Le Conflit de Succession comme Catalyseur de la Migration
Le départ des Baoulé de leur terre d’origine ne fut pas une simple expansion territoriale, mais plutôt le résultat d’une profonde instabilité politique. La mort du grand roi Osei Tutu en 1717 (octobre 1717, selon des documents hollandais) déclencha une guerre civile dévastatrice au sein du royaume Ashanti. Ce conflit de succession vit s’affronter plusieurs prétendants au trône, dont Opokou Ware, Okuku Adani, Dakon et Boa Kwatia. Cette querelle interne fut le facteur déclencheur de l’exode du peuple Assabou, un groupe qui allait jouer un rôle central dans la formation de l’identité baoulé.
Cette instabilité politique interne, caractérisée par une guerre civile intense, fut le principal facteur de « poussée » qui força la migration des Baoulé. Leur départ ne relevait donc pas d’une volonté d’expansion, mais d’une nécessité de fuir un environnement de violence et de fragmentation. Cette expérience fondatrice de déplacement forcé et de recherche de sécurité a probablement influencé l’organisation politique ultérieure des Baoulé, en favorisant une structure décentralisée et axée sur le consensus, afin d’éviter des conflits internes similaires. Il est également pertinent de noter que le groupe Assabou qui migra n’était pas ethniquement homogène, mais comprenait des éléments du royaume Denkyra, vaincu et vassal des Ashanti depuis 1701. Cette composition diverse du groupe en exode souligne la complexité du paysage politique et des alliances qui ont précédé leur départ.
3. La Grande Migration : Le Rôle de la Reine Abla Pokou
La migration des Baoulé est indissociable de la figure emblématique de la Reine Abla Pokou, dont le leadership et le sacrifice ont forgé l’identité de ce peuple.
Leadership et Motivation de l’Exode
La migration massive fut menée par la Reine Abla Pokou, également connue sous les noms d’Aura Poku ou Abraha Pokou, une figure centrale de l’histoire baoulé. En tant que princesse et nièce du roi Osei Tutu, elle accéda plus tard au titre de reine, guidant son peuple du territoire Ashanti vers l’actuelle Côte d’Ivoire. La motivation principale de ce périple ardu fut l’assassinat de son frère, Dakon, lors de la dispute de succession, ce qui la contraignit, elle et ses partisans, à chercher des terres paisibles et sécurisées.
La Légende du Nom « Baoulé »
La légende la plus marquante associée à Abla Pokou raconte le sacrifice de son fils unique pour permettre à son peuple de traverser une grande rivière, la Comoé. Son cri de douleur, « Ba-ouli », signifiant « l’enfant est mort », est considéré comme l’origine du nom « Baoulé » donné à ses descendants. Une autre interprétation suggère que le nom « Baule » dérive du terme « enfantement ». Bien que l’événement central du sacrifice soit largement accepté, certains sous-groupes, tels que les Nzikpli, affirment avoir traversé la Comoé par leurs propres moyens, soulignant ainsi leur autonomie par rapport au leadership direct d’Abla Pokou dans cet acte spécifique.
La migration des Assabou, sous la direction d’Abla Pokou, a probablement débuté vers 1721, avec pour objectif l’actuelle Côte d’Ivoire. Avant d’atteindre leur destination finale, les Assabou trouvèrent refuge à Aowin, où ils séjournèrent jusqu’en 1721. Durant cette période, une transformation linguistique significative s’opéra : ils adoptèrent la langue Agni, dont le baoulé est une variante, abandonnant ainsi leur langue Ashanti originelle. Le baoulé est d’ailleurs considéré comme une langue issue de l’asante/twi et de l’agni.
Il est important de noter que des migrations antérieures de groupes liés aux Akan/Guan, tels que les Akpatifouè (qui sont décrits comme « comme tous les peuples baoulés de Côte d’Ivoire »), se sont produites depuis la basse vallée de la Volta vers le territoire ivoirien entre 1677 et 1680, motivées par des conflits avec le royaume d’Akwamu. Cela suggère une histoire complexe et multi-couches de l’établissement Akan en Côte d’Ivoire, la migration d’Abla Pokou étant un événement majeur, mais potentiellement pas le seul, à l’origine de la fondation.
Le récit de la migration est bien plus qu’un simple déplacement géographique de populations. Le nom même de « Baoulé » est intrinsèquement lié à un moment traumatique et fondateur du voyage. La période de refuge à Aowin fut cruciale, car elle vit une transformation linguistique majeure : l’adoption de la langue Agni. Cela signifie que la langue baoulé, un mélange d’Asante/Twi et d’Agni, a été forgée en cours de route, symbolisant une rupture et une nouvelle genèse. La présence d’éléments Denkyra au sein du groupe Assabou en migration indique également que le groupe n’était pas ethniquement pur Ashanti, mais une composition de peuples réunis par les troubles politiques. Cette dynamique démontre que l’identité baoulé n’est pas simplement un héritage de leur passé Ashanti, mais qu’elle a été activement construite et redéfinie à travers l’épreuve de la migration. Le traumatisme partagé, l’évolution linguistique et l’intégration d’éléments divers au cours du voyage ont solidifié une nouvelle identité collective, distincte de leurs origines. La légende d’Abla Pokou, avec son acte de sacrifice, sert de mythe unificateur puissant, offrant un récit commun de résilience qui sous-tend leur mémoire collective et leur cohésion culturelle.
4. L’Établissement et l’Expansion en Côte d’Ivoire
Après une migration semée d’embûches, le peuple Baoulé s’est établi et a étendu son influence sur un vaste territoire en Côte d’Ivoire.
Établissement Initial et Fondation du Royaume
Après avoir traversé le fleuve Comoé, les migrants se sont initialement rassemblés à Niamonou, également connu sous le nom de Ndranouan, qui devint le lieu de sépulture de la Reine Abla Pokou. Le territoire central des Baoulé s’est ensuite établi entre les fleuves Bandama et Comoé.
À la mort d’Abla Pokou, survenue vers 1760 ou 1770 , sa nièce, Akoua Boni (ou Akwa Boni), lui succéda. Son règne est situé approximativement entre 1730 et 1750 ou entre 1760 et 1790. Akoua Boni joua un rôle déterminant dans la consolidation de la présence baoulé. Elle initia une politique d’expansion territoriale, guidant le peuple Agoua vers l’ouest à la recherche de nouveaux sites d’établissement. Ils finirent par s’installer sous un grand arbre appelé « Walè », ce qui donna le nom de Walèbo aux Agoua et à leur nouvelle localité. Ce site devint Sakassou, la capitale de l’État de Walèbo. Akoua Boni est reconnue pour avoir unifié le pays Baoulé par une expansion stratégique et, parfois, par la guerre. Elle fit également construire des villages de défense autour de Walèbo pour assurer la sécurité du royaume.
Expansion Territoriale et Moteurs Économiques
L’expansion baoulé fut systématique, s’étendant vers l’ouest en direction des terres des peuples Gouro et Ouan. Un moteur significatif de cette expansion, en particulier vers la région sud du pays baoulé, fut la recherche de gisements aurifères et le développement de voies de trafic vers la côte. L’occupation massive de la région sud du pays baoulé eut lieu principalement au XIXe siècle, près d’un siècle après la formation initiale de l’ethnie. Des villages comme Kokumbo, appartenant à la tribu Faafoué, devinrent des centres importants en raison de leur contrôle sur d’importants gisements aurifères, attirant des migrants (orpailleurs, artisans, commerçants) d’autres régions baoulé.
Défis de l’Installation et de l’Intégration
Le processus d’expansion impliqua des interactions complexes avec les groupes autochtones préexistants, tels que les Gouro, les Gbomi, les Krobou et les Gagou. Cette dynamique conduisit souvent à l’expulsion ou à l’intégration de ces groupes. L’intégration se fit parfois par des mariages interethniques, où les guerriers baoulé épousaient des femmes autochtones (par exemple, Gouro, Ouan, Sénoufo), entraînant un brassage culturel significatif et des emprunts réciproques. Des prisonniers de guerre furent également intégrés, servant parfois d’esclaves au sein de la société baoulé.
La migration initiale était une fuite du conflit, mais sous Akoua Boni, elle se transforma rapidement en un processus délibéré d’expansion territoriale et de construction étatique. La motivation de cette expansion est explicitement liée à des facteurs économiques : la recherche d’or et l’établissement de routes commerciales. Cela indique un changement stratégique, passant de la simple survie à la consolidation économique et politique. L’intégration de diverses populations autochtones, souvent par la conquête, les mariages mixtes et même l’utilisation de captifs, démontre une approche pragmatique de la croissance démographique et du contrôle territorial. Cela révèle que les Baoulé n’étaient pas de simples migrants passifs, mais des acteurs actifs dans la formation de leur nouvelle patrie. Leur formation étatique fut motivée par une combinaison d’ambition politique et d’opportunité économique, conduisant à un processus dynamique d’absorption et d’adaptation culturelle. L’importance accordée à l’or comme symbole d’héritage et de pouvoir est profondément enracinée dans ces moteurs économiques historiques et la stratification sociale qui en a découlé. Le « libéralisme » de certains dirigeants baoulé dans l’attraction de migrants a en outre favorisé la nature hétérogène de la société baoulé, qui est une caractéristique clé de leur identité.
5. Organisation Politique Traditionnelle et la Royauté Baoulé
L’organisation politique des Baoulé présente une structure complexe, souvent sujette à débat quant à son caractère centralisé ou décentralisé.
Le Débat : Société Acéphale ou Royaume Centralisé?
De nombreux chercheurs décrivent la société baoulé comme « politiquement acéphale » (dépourvue de tête centralisée) et égalitaire, l’autorité résidant principalement au niveau du village et étant basée sur les liens de parenté. Cette vision suggère l’absence d’une autorité politique réelle au-delà du village. Cependant, l’existence d’un « royaume Baoulé » (Baouléman) fondé par Abla Pokou et centré à Sakassou (Walèbo) est également explicitement mentionnée. Cette apparente contradiction met en lumière la réalité nuancée de la gouvernance baoulé.
Structure de la Chefferie Traditionnelle
L’organisation politique baoulé est fondamentalement basée sur un système de chefferies et de conseils, avec une forte insistance sur la consultation et le consensus.
- Le Chef de Village (Nana) : Le Nana est la figure centrale de l’autorité politique au niveau local. Il est généralement choisi parmi les membres de la famille royale ou les lignages dominants. Le Nana est responsable de la gestion des affaires du village, de la résolution des conflits et de la représentation du village dans les affaires externes.
- Le Conseil des Anciens : Le chef de village est assisté par un conseil des anciens, composé des membres les plus respectés et expérimentés de la communauté. Ce conseil joue un rôle crucial dans la prise de décision, en offrant des conseils et en veillant à ce que les décisions prises reflètent les intérêts de la communauté.
- Les Chefs de Quartier : Dans les villages plus grands, il peut y avoir des chefs de quartier qui supervisent des sections spécifiques du village. Ils agissent comme des intermédiaires entre le chef de village et les habitants de leur quartier.
- Les Sociétés Secrètes : Des organisations comme le Goli ou le Koumen exercent également une influence significative dans la gouvernance traditionnelle. Elles sont souvent impliquées dans les cérémonies religieuses et les rites de passage, mais peuvent aussi influencer les décisions politiques et maintenir l’ordre social.
La monarchie baoulé est principalement régie par un lignage matrilinéaire. L’héritier traditionnel est le neveu (le fils de la sœur), plutôt que le fils biologique.
Tableau 1 : Chronologie des Rois et Reines du Royaume Baoulé (Sakassou)
| Dirigeant(e) | Dates de Règne (approximatives) | Rôle Clé / Notes |
| Nanan Abla Pokou | 1730-1770 (Décès 1760 ou 1770) | Fondatrice du royaume |
| Nanan Akoua Boni | 1730-1750 ou 1760-1790 | Nièce et successeure d’Abla Pokou, unificatrice du pays Baoulé, fondatrice de Sakassou comme capitale |
| Kouakou Djè (ou Kouakou Guiè) | 1790-1820 | Fils et successeur d’Akoua Boni |
| Kouamé Toto | 1820-1840 | Roi |
| Kouakou Anoumgblé 1er | 1840-1870 | Roi, début de l’alternance |
| Toto Dibi et Toto Yoman | 1870-1880 | Alliés des Djè, occupent le siège royal |
| Anoumgblé Djèkè | 1880-1890 | Alternance en faveur des Anoumgblé |
| Kouamé Guiè 2 | Décédé en 1978 | Sa mort entraîne une crise de succession |
| Kouakou Anoumgblé 3 | 1995-2004 | Règne interrompu par la rébellion armée, décédé en 2004 |
| Akoua Boni 2 (Tanou Monique) | 2005-2010 (contesté) ; Désignée Reine en 2016 (contesté) | Reine contestée, sœur d’Anoumgblé 3. Son choix a été contesté en raison du principe matrilinéaire |
| Nanan Kassi Anvo | Depuis 2020 | Roi des Baoulé en 2020. Son investiture est l’objet de débats récents |
| Nanan Maxime Kouadio (Nanan Kouakou Djè II) | Intronisé le 17 juin 2024 | Quatorzième roi du royaume baoulé |
Défis et Litiges Successoraux
L’histoire récente du royaume baoulé est marquée par des litiges persistants concernant la succession, en particulier autour du principe matrilinéaire. Par exemple, le fils de la reine actuelle ne peut hériter du trône s’il existe des personnes vivantes dans la lignée matrilinéaire légitime. La désignation d’Akoua Boni 2 et le débat continu autour de Nanan Kassi Anvo illustrent les complexités et les tensions dans l’application des règles traditionnelles dans les contextes contemporains.
La description de la société baoulé comme « politiquement acéphale » et décentralisée, avec une autorité principalement au niveau du village, semble contredire l’existence d’un « royaume Baoulé » et d’une lignée royale centrale à Sakassou. Cette contradiction apparente se résout en comprenant que, si une lignée royale centrale (Walèbo) fournissait un point focal symbolique et historique, la société baoulé au sens large maintenait une structure politique locale fortement décentralisée et segmentaire. Les chefs de village, les conseils des anciens et les sociétés secrètes conservaient une autonomie considérable. Le « libéralisme » des dirigeants dans des localités comme Kokumbo indique également une décentralisation pratique. Ce paradoxe suggère un système politique flexible et résilient. La monarchie offrait un récit unificateur et une tête symbolique pour l’ensemble du peuple baoulé, renforçant leur identité commune forgée durant la migration. Cependant, la gouvernance pratique restait très localisée et axée sur le consensus, ce qui a probablement contribué à la résilience de la société face aux pressions externes, car il n’y avait pas une autorité centrale unique dont la capture aurait pu entraîner l’effondrement de l’ensemble de la structure. Les litiges successoraux actuels soulignent l’importance durable des règles traditionnelles et la tension entre les interprétations historiques et modernes du leadership, même dans le cadre d’une société apparemment « acéphale ».
6. Les Tribus et Sous-Groupes Baoulé
Le peuple Baoulé, bien qu’uni par une histoire et une culture communes, présente une riche diversité interne, structurée en de nombreuses tribus et sous-groupes.
Vue d’Ensemble des Sous-Groupes Baoulé
Les Baoulé font partie du groupe Akan et se composent d’environ vingt sous-groupes identifiés. Il est intéressant de noter que certains peuples historiquement soumis à la domination baoulé, tels que les Ouan (Tiéningbué, Kounahiri) et les Ngain (M’bahiakro), tendent aujourd’hui à s’identifier comme Baoulé, illustrant un processus d’assimilation culturelle et de glissement identitaire. Bien qu’ils parlent la même langue, des variations existent principalement dans le ton et la prononciation.
Les Huit Tribus Primitives
Dans leur formation initiale, le peuple Baoulé s’est constitué à partir de deux groupes principaux : les Assabou et les Allanguira. De ces deux groupes ont émergé huit tribus primitives, désignées par la Reine Abla Pokou en fonction de circonstances spécifiques ou de leur comportement durant la migration et l’établissement :
- Walèbo
- Faafouè
- Sa
- N’zikpli
- Ahitou
- Agba
- Nanafouè
- N’gban
- Akouès : Principalement situés dans la région autour de Yamoussoukro.
- Kodè : Originaires du royaume Ashanti, ils faisaient partie de la migration Assabou menée par la Reine Abla Pokou. Leur fondateur, Abraha Akpo, était le frère de la Reine Abla Pokou et le chef de sa garde. Une distinction clé des Kodè est leur accent verbal unique, attribué à des emprunts linguistiques de leurs voisins, les Gouro et les Ouan, avec qui ils ont eu un contact direct lors de leur expansion vers l’ouest. Contrairement à la plupart des peuples Akan qui suivent un système d’héritage matrilinéaire, les Kodè ont adopté un système patrilinéaire. Ce changement résulte de leur interaction et de leurs mariages interethniques avec les peuples patrilinéaires Gouro et Ouan lors de la conquête des territoires occidentaux. Ils entretiennent des relations très cordiales avec les autres sous-groupes baoulé, en particulier les Walèbo, en raison de leur lien familial direct avec la famille royale. Ils sont considérés comme des « alliés idéaux » parmi les Baoulé.
- N’gban : Un groupe guerrier proéminent et l’une des huit tribus primitives baoulé. Ils sont géographiquement divisés en trois zones principales : un groupe qui a établi un siège royal dans le pays Anô, un deuxième groupe au sud de Toumodi (Kpouèbo), et les N’gban-nord, occupant la zone autour de Tié-N’diekro. Les N’gban étaient connus pour leur résistance féroce à la pénétration coloniale française, employant des tactiques telles que la terre brûlée, la désertion des villages, le recours au mysticisme et les attaques surprises et ciblées.
- Ouan (Wan) : Voisins des Baoulé, d’où les Baoulé ont importé la danse populaire Goli. Ils faisaient partie des peuples autochtones conquis par les Baoulé lors de leur expansion vers l’ouest, notamment par les Kodè, et furent contraints de se retirer au-delà de la rive ouest du fleuve Bandama.
- Suamlin : Identifiés comme un peuple originaire du Ghana ayant une affiliation aux Baoulé, possédant des structures sociales et des particularités culturelles distinctes.
L’identité « Baoulé » n’est pas un concept statique et ethniquement homogène, mais plutôt le résultat d’un processus dynamique d’ethno-genèse. Ce processus a impliqué un groupe migrant central qui a absorbé, intégré et influencé culturellement diverses populations autochtones et alliées. Cela explique les variations internes en termes de langue, de coutumes et de structures sociales (par exemple, l’héritage patrilinéaire contre matrilinéaire) parmi les différents sous-groupes. L’identité baoulé est ainsi devenue un terme générique pour une entité politique culturellement et linguistiquement apparentée, mais intrinsèquement diverse, façonnée à la fois par leur migration fondatrice et leurs interactions ultérieures sur leur nouveau territoire.
Tableau 2 : Principales Tribus et Sous-Groupes Baoulé
| Tribu / Sous-groupe | Caractéristiques Clés / Distinctions | Zone Géographique (si spécifiée) | Interactions Historiques Notables |
| Walèbo | Lignée royale, groupe fondateur, centre du royaume | Sakassou, capitale du royaume Baoulé | Liens familiaux étroits avec les Kodè |
| Faafouè | Tribu importante, contrôle de gisements aurifères | Sud du pays Baoulé, Kokumbo | Attire de nombreux migrants pour l’or |
| Sa | Tribu primitive | Non spécifiée | Non spécifiée |
| N’zikpli | Tribu primitive | Non spécifiée, certains affirment avoir traversé la Comoé de manière autonome | Refuge pour les populations fuyant la répression coloniale |
| Ahitou | Tribu primitive | Non spécifiée | Non spécifiée |
| Agba | Tribu primitive | Non spécifiée | Refuge pour les populations fuyant la répression coloniale |
| Nanafouè | Tribu primitive | Non spécifiée | Non spécifiée |
| N’gban | Groupe guerrier, résistance féroce à la colonisation | Anô, sud de Toumodi (Kpouèbo), Tié-N’diekro | Résistance à la pénétration française |
| Akouès | Sous-groupe | Région de Yamoussoukro | Non spécifiée |
| Kodè | Accent unique, système patrilinéaire, alliés idéaux | Ouest, terres des Gouro et Ouan | Conquête des Ouan, intermariages avec Gouro et Ouan |
| Ouan (Wan) | Peuple voisin, origine de la danse Goli | Tiéningbué, Kounahiri, au-delà du Bandama | Soumis par les Baoulé, dont les Kodè ; certains s’identifient comme Baoulé |
| Suamlin | Affiliation aux Baoulé, particularités culturelles | Non spécifiée | Non spécifiée |
7. Dynamiques Post-Installation : Conflits, Alliances et Résistance Coloniale
Après leur établissement, les Baoulé ont été confrontés à des dynamiques complexes de conflits et d’alliances avec les peuples voisins, ainsi qu’à une résistance significative face à la colonisation française.
Interactions et Alliances avec les Peuples Voisins
Les relations entre les Baoulé et les peuples voisins, comme les Agni, ont été complexes, mêlant alliances et conflits. Une première alliance fut initiée par Tyasalé entre les Agni et les Baoulé du Bas-Bandama. Cependant, une guerre violente éclata entre ces deux peuples vers 1770-1774, se concluant par l’établissement d’une alliance séculaire durable sur les terres de Tyasalé. Ces interactions étaient souvent motivées par la convergence d’intérêts économiques et d’ambitions politiques.
Lors de leur expansion vers l’ouest, les Baoulé rencontrèrent fréquemment les groupes Gouro et Ouan. Ces rencontres conduisirent souvent à la conquête, entraînant le retrait ou l’intégration de ces populations dans la société baoulé. Les mariages interethniques et les emprunts culturels qui en découlèrent, comme l’adoption d’un système patrilinéaire par les Kodè, illustrent l’impact profond de ces interactions.
Confrontation avec la Colonisation Française
Les tentatives françaises de pénétrer le cœur du pays baoulé se révélèrent difficiles et restèrent largement infructueuses jusqu’en 1893. Seule la frange nord-est (Anô) fut traversée par l’explorateur Binger en 1889. La conquête du territoire baoulé fut un défi considérable pour les forces coloniales françaises. Divers groupes baoulé, notamment les N’gban (du nord et du sud), opposèrent une résistance féroce et prolongée.
Les N’gban employèrent des tactiques diverses et efficaces pour éviter l’asservissement, parmi lesquelles :
- La méthode de la « terre brûlée », consistant à détruire les ressources pour les refuser à l’ennemi.
- La désertion des villages, forçant les forces françaises à les poursuivre.
- Le recours au mysticisme, invoquant une protection spirituelle.
- Des attaques surprises et ciblées contre les forces coloniales.
- Ils refusèrent explicitement le travail forcé et le paiement des taxes imposées, manifestant une défiance ouverte.
Gabriel Angoulvant, gouverneur de la Côte d’Ivoire en 1908, mit en œuvre une politique de « conquête par la manière forte », caractérisée par une répression militaire sévère et l’imposition du travail obligatoire. Les Français arrêtèrent et exilèrent systématiquement les chefs baoulé, dans le but de démanteler leurs systèmes politiques et sociaux traditionnels. Kamlè Assièoussou, le premier chef de canton nommé par l’administration coloniale chez les N’gban-nord, fut publiquement humilié et destitué en 1935 pour un vol de fusil présumé, illustrant les méthodes coloniales de contrôle et de suppression de l’autorité locale. Malgré le courage et la ténacité de leur résistance, les Baoulé finirent par se soumettre aux Français, qui possédaient une supériorité tactique et un armement plus sophistiqué.
La période coloniale a profondément perturbé les structures sociopolitiques traditionnelles baoulé, notamment par l’imposition du système de canton. Le travail forcé et la taxation ont imposé des fardeaux considérables à la population. Cette période a également entraîné des déplacements et l’abandon de villages alors que les populations fuyaient les pressions coloniales.
L’histoire des Baoulé n’est pas seulement celle d’un développement interne, mais aussi celle d’une interaction et d’une réaction continues aux forces externes. Leur migration initiale fut une réponse à un conflit interne Ashanti. Leur expansion impliqua un engagement actif et souvent la conquête de groupes voisins. La période coloniale représente une nouvelle et formidable pression externe. La résistance féroce et prolongée de groupes comme les N’gban démontre une volonté forte et active de maintenir leur autonomie et leur intégrité culturelle. Les adaptations culturelles, telles que le passage des Kodè à l’héritage patrilinéaire, illustrent en outre leur capacité à s’adapter à de nouveaux environnements et interactions. Cette dynamique met en évidence un thème récurrent de résilience et de capacité d’adaptation tout au long de l’histoire baoulé. Ils n’ont pas été des récepteurs passifs des forces historiques, mais des acteurs actifs qui ont façonné leur destin par le conflit et la coopération. Leur résistance, bien que finalement vaincue par une force coloniale supérieure, souligne la force de leur identité culturelle et leur détermination à préserver leur mode de vie. L’imposition coloniale de nouvelles structures administratives a fondamentalement modifié leur gouvernance traditionnelle, entraînant des conséquences à long terme pour leur paysage politique et préparant le terrain pour les défis post-indépendance.
8. Héritage Culturel et Perspectives
Malgré les bouleversements historiques, le peuple Baoulé a su préserver et adapter un riche héritage culturel qui continue de le définir.
Langue (Baoulé)
Le baoulé est une langue africaine appartenant à la famille des langues Akan ou Tano central. Sa particularité réside dans sa nature de mélange linguistique, ayant évolué à partir de l’asante/twi et de l’agni, ce qui reflète le parcours historique et les interactions des Baoulé.
Art et Artisanat
- L’Or : L’or revêt une signification symbolique profonde pour les Baoulé, représentant l’héritage, l’opulence et le pouvoir. Il est hautement valorisé et considéré comme quelque chose qui doit être mérité plutôt que volé. Cette vénération de l’or est profondément enracinée dans leur histoire de recherche et d’exploitation des gisements aurifères lors de leur expansion.
- Sculpture : Les Baoulé sont reconnus pour leurs talents de sculpteurs.
- Pagnes Baoulé (Tissus tissés) : Ces étoffes traditionnelles sont emblématiques de l’artisanat baoulé. Cinq types principaux sont produits : le blénou tani, le golikplo, l’ahoukpoa, le kpêta et le nankanfian. Le pagne baoulé est plus qu’un simple textile ; c’est un savoir-faire vivant, transmis de génération en génération, servant de langage de symboles et de significations. Il joue un rôle vital dans la cohésion sociale et l’autonomie économique des villages, générant des emplois locaux et préservant un métier noble. En 2019, l’État ivoirien a initié le processus de reconnaissance des pagnes baoulé en Indication Géographique Protégée (IGP), reconnaissant ainsi leur importance culturelle et économique.
Pratiques et Croyances Traditionnelles
- Danses : Plusieurs danses sont très prisées, notamment le Goli (importé des Ouan, mais avec des chants baoulé), l’Adjémlé, le Kôtou et l’Adjoss, chacune présentant des variations régionales spécifiques.
- Conventions de Dénomination : Les pratiques traditionnelles de dénomination baoulé sont patronymiques, le prénom du père devenant le nom de famille des enfants, bien que cette pratique évolue avec l’état civil moderne. Des prénoms spécifiques sont donnés en fonction de l’ordre de naissance ou des circonstances, tels que Kindôh, N’goran, Brou et Loukou.
- Religion et Spiritualité : La religion traditionnelle inclut divers fétiches (par exemple, Gbangbo, Kra, Goly) et le concept de Gnanmien, le « souffle de vie » ou Dieu.
Résilience et Perspectives Modernes
Malgré les profonds changements apportés par la colonisation et les pressions de la société moderne, les structures traditionnelles et l’identité culturelle des Baoulé restent remarquablement résilientes et influentes dans leur vie quotidienne. Le pagne baoulé, en tant qu’ancrage culturel, continue de relier le peuple à son territoire et à son histoire, servant de boussole textile dans un monde en mutation.
Les informations sur la culture baoulé révèlent un héritage riche et dynamique. Malgré les bouleversements historiques (migration, formation de l’État, colonisation), des éléments culturels fondamentaux comme la langue, l’art (en particulier l’or et les pagnes) et les pratiques traditionnelles ont persisté. La langue elle-même est le produit d’une adaptation, résultant du mélange linguistique. L’importance continue de l’or est directement liée à leurs moteurs économiques historiques. La démarche de reconnaissance des pagnes en IGP est une manifestation moderne de la volonté de préserver un savoir-faire traditionnel. La résilience des structures traditionnelles, malgré les changements coloniaux et modernes, est également attestée. Cette continuité culturelle et cette capacité d’adaptation constituent un trait distinctif du peuple Baoulé. Leurs pratiques culturelles agissent comme de puissants mécanismes pour maintenir la cohésion du groupe, transmettre les connaissances entre générations et affirmer leur identité face aux influences externes. La capacité à s’adapter et à intégrer de nouveaux éléments tout en conservant leurs valeurs fondamentales témoigne de leur force culturelle durable et de leur résilience.
9. Conclusion
L’histoire du peuple Baoulé de Côte d’Ivoire est un récit complexe et fascinant de résilience, d’adaptation et de construction identitaire. Partis du puissant royaume Ashanti en raison d’une crise de succession interne au début du XVIIIe siècle, leur migration, menée par la figure emblématique de la Reine Abla Pokou, fut un événement fondateur, marquant la naissance de leur nom et le début d’une nouvelle ère.
Leur établissement en Côte d’Ivoire ne fut pas une simple installation, mais un processus dynamique d’expansion territoriale, motivé par la recherche de ressources, notamment l’or, et la consolidation de leur pouvoir. Cette période fut caractérisée par l’intégration et l’assimilation de diverses populations autochtones, façonnant une identité baoulé riche et hétérogène, comme en témoignent les particularités de leurs nombreux sous-groupes.
L’organisation politique baoulé, bien que présentant une royauté centrale symbolique à Sakassou, a conservé une structure décentralisée au niveau local, privilégiant le consensus et le respect des traditions. Cette dualité a sans doute contribué à leur capacité à résister farouchement à la pénétration coloniale française, notamment par des groupes guerriers comme les N’gban, démontrant une détermination inébranlable à préserver leur autonomie.
Aujourd’hui, le peuple Baoulé continue de faire vivre un héritage culturel vibrant, à travers sa langue, son art (notamment la sculpture et les pagnes), et ses pratiques traditionnelles. Cette culture, loin d’être figée, témoigne d’une capacité constante à s’adapter et à intégrer de nouvelles influences tout en maintenant ses racines profondes. Le peuple Baoulé incarne ainsi la nature dynamique de la formation identitaire, de la construction étatique et de la préservation culturelle en Afrique de l’Ouest, laissant une empreinte riche et durable en Côte d’Ivoire.